
Analyse de la compagnie aérienne camerounaise avec Eloi Cyrille Tollo, expert des questions de transport et ancien Conseiller spécial du DG de cette entreprise. Cette interview sera intégralement publiée dans le magazine
Investir au Cameroun du mois d’octobre prochain.
Investir au Cameroun :
Camair Co vient de voir arriver son 5ème DG, 5 ans après le lancement
de ses activités en 2011. Cette valse des DG n’occulte-t-elle pas en
réalité des problèmes structurels et stratégiques tels que l’absence de
vision ou encore l’insuffisance des moyens techniques et financiers,
dont a besoin une compagnie aérienne pour être compétitive ?
Eloi Cyrille Tollo :
Votre question est très pertinente. Toutefois, permettez-moi de vous
rassurer que sur le plan stratégique, Camair Co a une vision, des
missions et des valeurs. Ceci d’autant plus qu’elles ont été établies en
2013 par l’équipe dont j’étais l’un des responsables. Quand on consulte
les documents stratégiques de l’entreprise, on note que cette vision
n’a pas changé. Il s’agissait de faire de Camair Co «la compagnie aérienne leader qui relie la façade atlantique de l’Afrique au reste du monde.»
Mais
au regard du comportement des directeurs généraux qui ont suivi,
certains se sont trompés sur les ambitions et les actions à décliner
pour matérialiser cette vision. Il y a un proverbe brésilien qui dit que
«si une personne rêve, c’est juste un rêve ; mais si plusieurs rêvent ensemble, c’est le début de quelque chose de nouveau».
J’ai l’impression que parce qu’elle est mal comprise ou non comprise du
tout, cette vision est devenue un simple slogan formel.
Prenez
le cas de Monsieur Nana Sandjo, lorsque vous lisez le plan de relance
2014-2015 qu’il a proposé. Vous vous rendez vite compte qu’il y a une
inadéquation entre la vision de 2013 qu’il postule et les choix
opérationnels qu’il propose. Vous ne pouvez pas devenir une compagnie
leader avec de vieux Boeings de type 757 ou alors 737-400 qui ont une
moyenne d’âge de 30 ans. Cela n’a aucun sens, surtout quand on sait que
l’ex-Camair a utilisé ces avions dès le début des années 80, il y a 36
ans.
Vous confirmez donc qu’il y a effectivement de gros problèmes structurels…
Vous
avez raison de dire que notre compagnie aérienne a des problèmes
structurels et que les moyens mis à sa disposition seraient
insuffisants. Sur ce dernier point, il conviendrait de relativiser. Car,
les faits démontrent le contraire. Les problèmes organisationnels
relèvent de l’incapacité des managements successifs à établir un
organigramme conforme aux standards. C’est la raison pour laquelle
depuis plus de deux ans, la Cameroon Civil Aviation Authority (CCAA) n’a
plus validé les organigrammes à lui soumis par Camair Co. Lorsque vous
les analyser en détail, vous remarquerez qu’il s’agit de lits de
dysfonctionnements, symptomatiques des structures organisationnelles
chaotiques.
C’est
ce qui explique le caractère erratique des performances de cette
entreprise, ainsi que tous les problèmes qu’elle rencontre sur tous les
plans : maintenance, sécurité des vols, etc. C’est la raison pour
laquelle le 24 juin 2016, la CCAA a suspendu les vols de la Camair Co
vers l’Europe. Cette décision n’était ni exagérée ni inopportune. La
preuve, son Directeur général vient d’être remplacé. Si vous faite une
analyse cybernétique, que les Anglo-saxons appellent Viable System Model
(VSM), qui est un outil d’analyse de la viabilité des organisations,
vous vous rendrez compte que Camair Co est comme un corps dont les
membres sont complètement désarticulés.
Il
n’y a ni harmonie, ni concordance entre le système global et les
sous-systèmes, encore mois si l’on considère les sous-systèmes entre
eux. Je ne pense pas que les moyens alloués à Camair Co soient
insuffisants, au contraire. En réalité, l’Etat fait des efforts
considérables. Pour vous donner une idée, le gouvernement a subventionné
cette entreprise à hauteur de 31 milliards de francs Cfa entre janvier
2015 et mars 2016, soit 38% au-dessus du montant attendu.
Depuis
des mois, c’est l’Etat qui paie les salaires de près de 900 employés,
soit 560 millions de FCfa mensuel, pour un chiffre d’affaire qui oscille
entre 400 et 500 millions de FCfa par mois. C’est aussi lui qui paie la
maintenance des avions ou les loyers des aéronefs loués. L’Etat fait
donc énormément, mais la faute revient aux dirigeants qui ne savent pas
utiliser cette manne.
IC :
La firme américaine Boeing a récemment soumis au gouvernement
camerounais un plan de relance de Camair Co, qui met l’emphase sur le
renforcement de la flotte et la multiplication de nouvelles
destinations. Selon vous, cela est-il suffisant pour effectivement faire
décoller la compagnie ?
ECT :
Non ! La proposition de Boeing n’est pas du tout objective. Voici
l’état des lieux à moins que Boeing n’ait pas réalisé le même que nous.
La flotte de Camair Co est constituée de cinq avions qui ne sont
utilisés qu’à 26% de leur capacité. Ils passent donc 74% de leur temps
au sol et les raisons sont nombreuses : pannes, manque de pièces de
rechange, manque de pilotes, etc.
Si
vous rajoutez simplement une dizaine d’avions comme le propose Boeing,
sans avoir préalablement réorganisé les activités, vous multipliez les
problèmes par trois et les passagers ne reviendront toujours pas. En
2016, le taux de remplissage des avions de Camair Co est inférieur à
20%. Sans connectivité, ni ponctualité, ni régularité, ni sécurité, les
avions seront plus nombreux certes, les destinations aussi ; mais ils
voleront toujours presque vides. Si le plan de Boeing est appliqué tel
quel, au lieu de lueurs, on aura très vite des leurres.
IC :
A votre avis, sur quels autres leviers faut-il actionner pour relancer
efficacement cette compagnie aérienne et la rentabiliser ?
ECT :
Actuellement la Camair Co a un chiffre d’affaire mensuel qui oscille
entre 400 et 500 millions alors que les charges s’élèvent à près de 5
milliards le mois. Il faut donc rapidement faire un downsizing, c’est ce
que font toutes les entreprises en difficulté. D’ailleurs, les
entreprises qui durent sont celles qui deviennent résilientes. Elles
savent s’adapter, se repenser et changer quand surviennent des
difficultés.
Le
Dr Mefiro Oumarou, le nouveau PCA, a donc raison de dire qu’il faut
créer une nouvelle Camair Co. Je dirai même qu’il faut créer Camair Co
2.0. C’est à dire une compagnie à taille réduite, moderne, qui fait la
part belle aux NTIC. Une Camair Co rentable, plus attractive avec de
nouveaux services, une entreprise qui met ses clients au centre de ses
préoccupations. Les outils théoriques généralement utilisés pour rendre
les entreprises rentables sont connus et tournent autour de la réduction
drastique des coûts et l’augmentation significative des recettes.
Interview réalisée par Brice R. Mbodiam
Investir au Cameroun