
Vulnérables aux abus d’employeurs peu scrupuleux, les migrants qui travaillent en situation irrégulière sur le sol britannique sont aussi passibles de peines de prison allant jusqu’à 6 mois. Depuis 3 ans, les contrôles se sont durcis et les patrons sont encouragés à dénoncer les sans-papiers.
Le Royaume-Uni qui fait figure d’Eldorado européen pour de
nombreux migrants, au point de les pousser à prendre des risques inconsidérés
pour rejoindre l’Angleterre depuis la France, ne serait donc qu’un mirage.
"En Angleterre, tu peux travailler même si tu n’as pas de papiers", ont
entendu à plusieurs reprises les équipes d’InfoMigrants en reportage mi-juillet 2019 à Grande-Synthe et à Calais. Pourtant travailler sans papiers de l’autre
côté de la Manche reste tout aussi interdit qu’en France.
Travailler illégalement est surtout "risqué"
souligne Emily Kenway, de l’ONG de défense du droit des travailleurs
Focus on
Labour Exploitation (FLEX), jointe par InfoMigrants. "Étant donné que
c’est hors la loi, il est peu probable que les migrants en situation
irrégulière travaillent pour des entreprises de bonne réputation. Cela
signifie qu'ils
auront tendance à être employés par des sociétés ou des patrons qui
acceptent
d’enfreindre la loi, et [ces migrants] sont donc très vulnérables aux
abus, tels que le
non-paiement des salaires", prévient-elle.
Travailler 12 heures par jour pour 44 euros
L’ONG Consonant, qui défend les droits des demandeurs
d’asile au Royaume-Uni a constaté que les personnes en situation irrégulière
sur le territoire britannique étaient des proies faciles pour des patrons peu
scrupuleux qui sous-paient leurs salariés, ne respectent pas les conditions de
sécurité au travail ou vont jusqu’à confisquer les passeports des sans-papiers.
"Ici ça n’est pas le monde merveilleux qu’on décrit aux migrants",
prévient Ian Kane à la tête de l’équipe juridique de Consonant, contacté par
InfoMigrants.
Les stations de lavage de voiture à la main "Car
Wash", que l’on retrouve en bordure des routes ou dans les parkings
des supermarchés britanniques, sont fréquemment dénoncées par les ONG anglaises.
Des salariés étrangers, souvent sans papiers, y travaillent jusqu’à 12 heures
par jour pour un salaire quotidien de 40 pounds (44 euros), révèle un rapport
conjoint de l’Université de Nottingham et du Bureau du Commissaire indépendant
à la lutte contre l’esclavage datant d’octobre 2018.
Une infraction pénale passible de 6 mois de prison
Autre risque pour les migrants qui travailleraient sans permis
au Royaume-Uni : celui d’écoper de 6 mois de prison. De l’autre côté de la
Manche, le travail des sans-papiers constitue une infraction pénale qui peut
être sanctionnée par une amende, une peine d’emprisonnement pour les migrants,
ainsi que la confiscation des gains issus de l’activité exercée sans en avoir
eu le droit.
Si travailler est interdit pour les migrants en situation
illégale, ça l’est aussi pour les demandeurs d’asile durant toute la durée de
l’examen de leur dossier, qui peut aller de 3 mois à 5 ans en cas de recours.
Au bout d’une année, suivant la première décision dans le cadre de leur demande
d’asile, il est possible de demander une dérogation pour pouvoir
travailler, mais seulement pour certains métiers.
"Dans les faits, il n’est pas fréquent d’obtenir une dérogation. Il
faudrait pour cela exercer des professions rares comme chirurgien",
explique Ian Kane.
"Nous conseillons à toutes les personnes que nous
suivons pour la demande d’asile de ne pas travailler au noir. Car s’ils sont
pris, cela ruinerait toute chance d’obtenir l’asile. L’État considérerait
qu’ils sont venus ici pour travailler et les suspecterait de mentir sur
leur demande d’asile", recommande Ian Kane.
Un guet-apens organisé par une chaîne de Burgers
Les contrôles se sont durcis depuis la loi
britannique sur l’immigration de 2016 qui a introduit l’infraction de "travail
illégal". "Cela a notamment incité les entreprises à ne pas employer de
personnes sans papiers. L'employeur risque une peine de prison de 5 ans [2 ans avant
cette loi] et une amende si la société est reconnue
coupable d’avoir embauché une personne dont il est ‘raisonnable de croire’
qu’elle n’avait pas le droit de travailler au Royaume-Uni", précise Emily
Kenway. "Au Royaume-Uni, la police et les services d’inspection du
travail effectuent souvent des opérations conjointes avec des équipes de
contrôle de l’immigration", ajoute-t-elle.
La dernière édition du guide officiel émis par le
ministère
britannique de l’Intérieur à l’intention des patrons souhaitant
embaucher des
travailleurs étrangers hors Union européenne demande explicitement à ces
derniers de signaler aux services de l’immigration anglais tous faux
documents. En d'autres termes, les autorités poussent les employeurs à
dénoncer les sans-papiers.
"Il est arrivé, dans certains cas, que les services de
l'immigration passent un accord avec l'employeur après avoir découvert que les
salariés utilisaient de faux documents. Les entreprises acceptent pour ne pas
être poursuivie en justice", raconte Emily Kenway. C’est ce qui est
arrivé en juillet 2016, lorsqu’une chaîne de restaurant, Byron, a organisé une
fausse réunion avec ses salariés prétextant "une réunion sur la cuisson
des hamburgers". Des agents de l’immigration qui se trouvaient
dans la salle ont ainsi pu procéder à un contrôle surprise.
Ils ont arrêté 35
migrants en situation illégale, dont une vingtaine ont été conduits dans la
foulée en centre de rétention. Les cadres de la société ont affirmé de pas
avoir été avertis de ce guet-apens. La chaîne de burgers anglais s’était
secrètement entendue avec le ministère de l’Intérieur pour organiser cette
opération en échange d’une régularisation de sa propre situation.
>> À lire sur InfoMigrants : Contrairement aux rumeurs, l’Angleterre expulse les migrants
"dublinés"
Des migrants rebroussent chemin et reviennent en France
Les chiffres sur le nombre de sans-papiers au Royaume-Uni
sont controversés et font l'objet de débats. Entre 300 000 et plus d’un million de migrants
illégaux se trouvaient sur le territoire britannique en 2018, d’après la BBC.
Les autorités britanniques ont pour leur part recensé en mars 2019, 600 000
personnes sous le coup d’une expulsion mais pour qui aucune trace de départ n’a
été recensée.
Le conservateur Boris Johnson, successeur de la
Première ministre britannique Theresa May depuis le 23 juillet, parle
quant à lui de 500 000
sans-papiers rien qu’à Londres. Sa prise de pouvoir pourrait d’ailleurs
changer la politique britannique en matière d’immigration.
Il a proposé à la mi-juillet de régulariser le statut des immigrés
clandestins,
tout en promettant s'il est élu, de durcir la législation en
introduisant un
système d'immigration à points, basé sur les compétences et l'offre
d'emploi.
En attendant, lassés par les rudes
conditions de travail, mais aussi les difficultés à obtenir un logement en
Angleterre, d’après
l’Ocriest (Office central français pour la répression de l'immigration
irrégulière et de l'emploi d’étrangers sans titre), des migrants rebroussent
chemin et retournent en France. En 2017 quelque 966 personnes ont franchi irrégulièrement la
Manche en sens inverse, de l’Angleterre à Calais cette fois.
Par infomigrants.net