
Des mandats d’arrêts internationaux ont
été lancés, mardi 6 août, par la justice militaire algérienne
contre le
général Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense (1990-1993), son
fils Lotfi, dirigeant d’une société d’informatique, et Farid Benhamdine,
le président de la Société algérienne de pharmacie.
Selon la télévision publique, les trois hommes, dont « les noms sont apparus durant l’instruction visant Saïd Bouteflika », le frère du président déchu Abdelaziz Bouteflika, sont accusés « de complot contre l’Etat et d’atteinte à l’ordre public » et poursuivis en application des articles 77 et 78 du code pénal ainsi que de l’article 284 du code de justice militaire.
Le
général Khaled Nezzar, qui se trouve actuellement en Espagne, est de ce
fait passible de la peine capitale, l’article 77 prévoyant la peine de
mort pour l’auteur d’un « attentat, dont le but a été de détruire ou
de changer le régime, soit d’inciter les citoyens ou habitants à
s’armer contre l’autorité de l’Etat ou s’armer les uns contre les
autres »…
Apparition d’un compte Twitter
Même
si la mesure fait grand bruit en raison de la personnalité fortement
clivante de l’ancien chef de l’armée algérienne, elle était largement
attendue depuis l’apparition sur Twitter, le 15 juillet, d’un compte,
jamais ouvertement assumé, au nom de Khaled Nezzar, s’en prenant
ouvertement à l’actuel chef de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah,
accusé d’avoir « usurpé manu militari » le pouvoir.
« L’Algérie est prise en otage par un individu brutal qui a imposé le quatrième et inspiré le cinquième mandat [d’Abdelaziz Bouteflika]. Il faut y mettre fin ! Pays en danger »,
assurait le premier Tweet attribué à celui qui a brutalement réprimé
les émeutes de la jeunesse algérienne en octobre 1988 (159 morts selon
le bilan officiel, près de 500 selon des sources médicales).
Désigné ministre de la défense en 1990, il va être un des principaux
acteurs, en janvier 1992, de l’interruption du processus électoral en
passe d’être emporté par les islamistes. Le pays a ensuite plongé dans
une décennie de guerre intérieure. Chef de file des « éradicateurs »
anti-islamistes, l’homme est resté influent même après son départ à la
retraite en 1993.
Khaled Nezzar avait été entendu, le
14 mai, comme témoin dans l’enquête pour « complot contre l’autorité de
l’armée et de l’Etat » visant Saïd Bouteflika, les anciens chefs des
services de renseignements Mohamed Mediène (dit « Toufik ») et Athmane
Tartag (alias « Bachir »), et la dirigeante du Parti des travailleurs Louisa Hanoune.
Le
général Nezzar en avait profité pour charger lourdement Saïd
Bouteflika, assurant que ce dernier lui avait dit, lors d’une rencontre
en mars, qu’il envisageait d’instaurer l’état de siège et de démettre le
général Gaïd Salah. La charge avait été rendue publique par le site Algérie Patriotique,
dirigé par son fils, et interprétée à l’époque comme un signal envoyé
au nouvel homme fort du pays, engagé dans une guerre ouverte contre l’issaba (la « bande »), nom donné au clan Bouteflika. Ce « signal » est toutefois resté sans effet.
Fuite en Espagne
Selon des médias algériens, l’entrepreneur Farid Benhamdine serait quant à lui « l’intermédiaire entre l’ancien ministre de la défense et Saïd Bouteflika » dans ce qui a été considéré comme un « complot » contre le général Gaïd Salah. De témoin, le général Nezzar s’est ainsi retrouvé accusé de complot avec la « bande ».
Probablement informé du sort qui
l’attendait, l’ancien homme fort des années 1990 a prudemment fui
l’Algérie vers l’Espagne, il y a un mois, avant d’être rejoint par son
fils Lotfi, dont l’entreprise SLC, fournisseur d’accès à Internet, s’est
vu retirer, il y a quelques jours, son agrément. La « guerre » entre
Ahmed Gaïd Salah et Khaled Nezzar a été en quelque sorte officialisée
par l’apparition du compte Twitter au nom de l’ancien ministre de la
défense, qui n’a jamais démenti qu’il lui appartenait.
Après l’annonce du mandat d’arrêt, deux Tweet ont été publiés sur le compte @KhaledNezzar8 :
A Alger, certains restent dubitatifs sur
la capacité des autorités à convaincre l’Espagne de renvoyer le général
en fuite, même si les deux pays sont liés depuis 2008 par une convention
d’extradition. L’article 4 de ce texte précise en effet que
l’extradition est refusée dans le cas où la partie requise considère que
la demande est liée à une « infraction politique ou connexe à une infraction politique ». L’ancien ministre de la défense, qui semble avoir mûrement réfléchi au choix du pays de repli, invoquera probablement cet « aspect politique » pour s’opposer à son renvoi vers Alger.
Pour
certains observateurs, cette nouvelle péripétie confirme que le
mouvement populaire pacifique qui persiste en Algérie depuis le
22 février est en train d’accélérer la déconfiture d’un régime dont les
principales figures sont en prison, poursuivies notamment dans des
affaires de corruption.
Par Le Monde