
Les récentes
interventions massives de la Réserve fédérale américaine sur le marché
monétaire ont
ravivé le spectre de la crise de 2008. Sommes-nous au bord d’une grave crise financière? Oui pour le journaliste économique Benjamin Masse-Stamberger qui a confié son analyse du contexte économique mondial à Sputnik France.
ravivé le spectre de la crise de 2008. Sommes-nous au bord d’une grave crise financière? Oui pour le journaliste économique Benjamin Masse-Stamberger qui a confié son analyse du contexte économique mondial à Sputnik France.
Goldman Sachs qui s’inquiète d’un mois d’octobre à très haut risque pour les marchés. Une Réserve fédérale américaine (Fed), obligée d’injecter des dizaines de milliards de dollars quotidiennement sur le marché. Et de plus en plus d’observateurs gagnés par le pessimisme… L’économie mondiale est-elle sur le point d’être frappée par une tempête?
La semaine dernière, le marché monétaire américain a été traversé par
un vent de panique. C’est sur ce dernier qu’institutions financières et
entreprises se prêtent à court terme afin de faire face à leurs
échéances quotidiennes. Normalement, les taux pratiqués pour les
emprunts au jour le jour sont sensiblement les mêmes que ceux de la
Réserve fédérale américaine (autour de 2%). Mais ces derniers ont
explosé, jusqu’à atteindre 10%. Durant plusieurs jours, la Fed a dû
injecter des dizaines de milliards de dollars quotidiennement afin de ne
pas laisser le marché asséché des liquidés, essentielles au bon
fonctionnement de l’économie. Un tel contexte est une première depuis
10 ans et… la crise des subprimes. 2008, 2019, même combat? Se
dirige-t-on vers un krach économique majeur?
Pas pour le prix Nobel d’économie 2001 Joseph Stiglitz,
pour qui «il faut plus de perturbations pour provoquer une crise
mondiale». Mais face à lui, le camp des pessimistes est bien garni. Le
journaliste économique Benjamin Masse-Stamberger en fait partie. Selon
lui, une crise économique est non seulement inévitable, mais également
proche. Entretien.
Sputnik France: Selon vous, il est temps de s’interroger sur
une potentielle faillite des banques américaines et une crise financière
d’ampleur est inéluctable. C’est assez pessimiste comme vision…
Benjamin Masse-Stamberger: «Oui et non. Si vous
interrogez la majorité des économistes, ils vous diront que lors des
deux prochaines années, vous assisterez à minima à une baisse des
marchés. Pour la plupart, une crise financière est devenue inévitable.
Cela pour diverses raisons. La première est à chercher du côté de la
récession, qui couve concernant l’économie américaine. Qui dit récession
aux États-Unis, dit baisse de la consommation de ménages et baisse du
revenu des entreprises. Tout cela est indexé sur le secteur financier.
Ce dernier a des crédits sur l’économie réelle. Si les entreprises
américaines se retrouvent dans l’incapacité de rembourser leurs crédits,
une difficulté va se présenter concernant les banques. Nous l’avions vu
au moment de la crise des subprimes en 2007, qui avait été causée par
l’incapacité des ménages américains à rembourser les crédits qu’ils
avaient contractés sur leurs maisons achetées dans des conditions
extrêmement favorables. Précisément parce que cela rapportait au secteur
financier à l’époque.»
Sputnik France: Vous dénoncez les zones d’ombre du marché…
Benjamin Masse-Stamberger: «Il y a
une forme d’opacité dans le secteur financier qui fait qu’un certain
nombre de bulles sont susceptibles d’exploser. Il existe un véritable
risque que les banques ne soient plus en capacité de se prêter les unes
aux autres du fait qu’elles ne savent pas ce qui se cache dans leurs
bilans. C’est ce que nous avons vu avec la récente intervention massive
de la Fed, qui s’est substituée aux banques pour apporter de la
liquidité sur le marché interbancaire. Cet événement signifie que les
banques n’ont plus confiance les unes envers les autres. Et c’est un
signe avant-coureur majeur d’une crise financière à venir. La dernière
fois que cela s’était produit, c’était il y a 10 ans avant le choc de la faillite de Lehmann Brothers.»
Sputnik France: Plusieurs observateurs font un parallèle
entre la situation actuelle et celle de la période 2007-2008. Légitime,
selon vous?
Benjamin Masse-Stamberger: «Tout à fait. Les
interventions de la Fed, avec des montants atteignant des dizaines de
milliards de dollars, afin d’alimenter le marché pour que les banques
puissent accéder à des liquidités et des refinancements à court terme
sont très révélateurs. Il faut savoir que ces refinancements sont censés
se faire entre banques. Et il n’y a aucune raison que des institutions
financières ne puissent pas se prêter des fonds à court terme, cela ne
devrait poser aucun problème particulier. Il y a un souci d’opacité. Les
établissements financiers américains n’ont plus confiance les uns
envers les autres, alors même qu’ils sont supposés avoir été réformés et
régulés après la crise de 2008, notamment via les G20. Mais force est
de constater que cela n’a pas fonctionné, sinon la Fed ne serait pas
obligée d’intervenir. Et c’est grave. Cela veut dire que tout ce que
l’on a dit sur régulation est en partie faux. De plus, Donald Trump, à
son arrivée au pouvoir, a dérégulé une partie de l’activité des banques
américaines et a détricoté une partie de ce qui avait été tricoté
post-crise sous Barack Obama et sous l’égide de la communauté
internationale financière.»
Sputnik France: Rien n’a donc été réglé?
Benjamin Masse-Stamberger: «On peut penser qu’en
surface, les banques ont effectivement des activités plus saines, comme
les crédits aux particuliers ou aux entreprises. Mais, l’on peut
également penser qu’en sous-main, de manière invisible, ces banques sont
connectées à de grands fonds spéculatifs, dont l’activité n’est pas
régulée. Ces derniers ont des activités de gré à gré, qui sont de fait
beaucoup moins surveillées. Vous avez les “black pools”, tout ce qu’on
appelle la finance de l’ombre
qui brasse des centaines de milliards de dollars. D’autant plus que
tout cela est démultiplié par les produits dérivés et leurs effets de
levier qui vous permettent de miser 10 avec 1. De plus, la mécanisation
des opérations financières et le trading à haute fréquence démultiplie
le caractère “moutonnier” des marchés, car tout le monde prend les mêmes
décisions en même temps. Tout cela est provoqué ce qu’on appelle des
“effets trigger”, ou seuil de déclenchement à partir duquel toutes les
machines vont dans la même direction au même moment.»
Sputnik France: D’après vous, la récente attaque des rebelles Houthis
sur plusieurs installations pétrolières saoudiennes a potentiellement
joué un rôle dans le vent de panique qui a soufflé sur le marché
interbancaire américain…
Benjamin Masse-Stamberger: «Nous avons vu que les
capacités de production pétrolière de l’Arabie saoudite ont été remises
en question suite à cette attaque. Il y a eu une variation très forte
des prix du pétrole en quelques heures. Il faut savoir que les coûts du
pétrole sont largement l’objet de spéculations via les produits dérivés.
Alors, est-ce qu’il n’y a pas eu un effet de déclenchement provoqué par
un certain nombre de sorties de ce marché des dérivés pétroliers de la
part des gestionnaires de fonds? Il est possible que cela fasse partie
des paramètres qui ont fait se poser aux banques la question suivante:
“Est-ce que telle banque n’est pas trop investie dans tel fonds
d’investissement qui risque de faire faillite à cause de l’évolution des
cours du pétrole?” Je spécule, mais que je pense que c’est une question
que l’on peut légitimement se poser.»
Sputnik France: Les signes que quelque chose se prépare sont donc déjà là?
Benjamin Masse-Stamberger: «On peut se dire qu’à
minima, il n’y a pas de visibilité sur la réalité des bilans bancaires.
Deuxièmement, il y a un début de panique dans le secteur financier, qui
fait que la Fed est d’obliger d’intervenir massivement et de se
substituer aux acteurs privés. Ce sont des signaux avant-coureurs qu’il y
a quelque chose de bien avancé dans le processus qui va mener à une
crise financière dont on pourra juger de la gravité. Mais si l’on se
compare à l’échelle de Richter, je dirais que l’on se dirige vers 7 à
10. Nous savons qu’il ne s’agira pas d’une petite secousse. C’est
certain.»
Sputnik France: Selon la célèbre banque d’affaires Goldman
Sachs, le mois d’octobre sera dangereux pour les marchés. ll est
traditionnellement à haut risque, on se souvient du krach d’octobre 1929
ou encore celui de 1987 sans parler des événements de 2008. Pourrait-on
assister au krach d’octobre 2019?
Benjamin Masse-Stamberger: «C’est une période à
risque. Vous avez la rentrée de septembre lors de laquelle les
opérateurs de marché doivent reprendre leurs marques. C’est à ce moment
qu’ils prennent conscience d’un certain nombre de tendances de marché
qu’ils n’avaient pas vues pendant les vacances. Le temps que tout ceci
fasse son nid, de grands bouleversements peuvent intervenir en octobre.
Comme vous l’avez rappelé, il y a eu le krach d’octobre 1929, celui
d’octobre 1987 et la crise de Lehmann Brothers en 2008 a connu son
paroxysme à l’automne, y compris en octobre, où l’on a assisté à des
variations de cours allant jusqu’à -10% sur une journée de cotation, un
cas de figure que l’on avait plus vu depuis la crise de 1929. Nous
voyons bien qu’actuellement, quelque chose est en gestation et peut
déboucher sur une crise violente. De plus, les banques centrales, au
lieu de s’attaquer aux problèmes fondamentaux de la crise qui ont
rapport avec la mondialisation et les régulations commerciale et
financière, n’ont fait qu’injecter des milliards dans l’économie. Nous
avons soigné le mal par le mal. Le tout renforcé par la politique de
Donald Trump qui a dérégulé le système financier et a poussé la Fed à accentuer sa politique monétaire accommodante.»
Sputnik France: D’après votre analyse, l’impact est proche…
Benjamin Masse-Stamberger: «Les marchés américains
sont à des niveaux qui n’ont absolument aucun rapport avec la réalité de
l’économie. Si l’on suppose que cette dernière progresse sur une courbe
allant de 1 à 4% par an, c’est à comparer avec des marchés financiers
qui progressent de 5 à 10% par an. Il n’y a pas d’exemple dans
l’histoire où une telle déconnexion des marchés par rapport à l’économie
réelle n’ait pas mené à un atterrissage douloureux. Il n’y a absolument
aucun doute que nous nous dirigeons vers une crise. Maintenant, tout
est une question de timing. Est-ce que cela se produira dans six mois?
Dans les semaines qui viennent? Est-ce que Donald Trump, par souci de
réélection, va faire en sorte de colmater les brèches? Selon moi, le
degré d’avancement de la crise financière tel qu’on peut la lire, si
l’on regarde au-delà des apparences et des discours convenus des
économistes et la communication politique, fait penser que le
déclenchement est proche. Si je devais donner une prédiction, je dirais
que le plus probable est qu’une crise d’ampleur frappe l’économie
mondiale avant la fin de l’année. La probabilité d’un déclenchement dans
les trois mois est de 75%.»
Par sputnik