
Editorial. Le 1er octobre, le contraste a été saisissant entre les
célébrations des soixante-dix ans de la
fondation de la République
populaire et les manifestations à Hongkong.
Editorial du « Monde ».
Un pays, deux systèmes : dans l’un, des chars, des soldats qui marchent
au pas de l’oie, des chorégraphies dont les acteurs exhibent le masque
de la joie. Dans l’autre, des manifestants tout de noir vêtus, armés de
parapluies, qui arrachent des banderoles, brûlent du papier funéraire
comme pour un enterrement. Des visages crispés dans la fuite ou
l’attaque. Des policiers débordés, dont l’un qui tire à bout portant
avec son pistolet sur le lycéen de 18 ans qui le frappait avec un bâton.
A
Pékin, un portrait de Xi Jinping monté sur un char fleuri, façon
Staline. A Hongkong, le même Xi, en poster collé au mur, sur lequel les
manifestants lancent des œufs. Ici, un message officiel diffusé à
l’envi, surjouant un refrain ressassé : seul le Parti communiste chinois
(PCC) convient au pays et il est la raison de son succès. Là, un rejet
inconditionnel du régime, ouvertement conspué. D’un côté l’adhésion
feinte, l’unité par la force. De l’autre, un geyser de protestations et
de parole libérée que rien ne semble tarir.
Le contraste ne pouvait être plus embarrassant, en ce 1er octobre,
date de la commémoration de la fondation de la République populaire il y
a soixante-dix ans. Pour les Hongkongais, c’était l’occasion rêvée de
rappeler au monde le message que porte un mouvement inédit dans sa durée
et sa virulence : au-delà du projet de loi d’extradition, ils
reprochent à Pékin d’avoir voulu subvertir le « contrat » d’un haut
degré d’autonomie garanti par la formule « un pays, deux systèmes »,
en cooptant l’establishment et en diabolisant une opposition légitime.
Ils ne conçoivent de salut que dans une démocratie sanctuarisée,
notamment par un Parlement et un chef de l’exécutif élu au suffrage
universel.
Hongkong
est devenu le théâtre d’une rivalité systémique, qui oppose le
socialisme à caractéristiques chinoises de Xi Jinping à un modèle
démocratique, lui aussi à la chinoise : par ses lois, sa société civile,
son haut niveau d’éducation, Hongkong a prouvé qu’il savait
s’autogérer.
Pékin a voulu jouer le pourrissement
La Chine a en apparence fait preuve de retenue : Xi Jinping a rappelé, lors de son allocution du 1er octobre, que Pékin resterait fidèle à la formule « un pays, deux systèmes » – perpétuant donc un dialogue de sourds, puisque les manifestants sont persuadés qu’elle a déjà été largement galvaudée.
Si
le dirigeant s’efforce de rester en conformité formelle avec ce
principe – ne serait-ce que pour ne pas donner davantage prise aux
critiques occidentales –, il a, tout au long du mouvement, fait jouer
tous les leviers pour lui faire obstacle : les réseaux de loyalistes,
les contingents de résidents nouvellement immigrés de Chine, le
boycottage économique et toute une panoplie d’outils de renseignement.
Pékin a aussi voulu jouer le pourrissement, en comptant sur un
retournement de l’opinion et sur le pouvoir dissuasif des arrestations.
En vain.
L’impasse
demeure totale. Carrie Lam, la chef de l’exécutif, a perdu tout crédit
auprès de la population, et la police, ayant désormais le sentiment
d’avoir les mains libres, agit sans retenue, alimentant le
jusqu’au-boutisme d’une partie des manifestants. De son côté, Pékin doit
tenir compte d’une opinion publique indignée par les affronts aux
symboles de la souveraineté chinoise, tout en sachant que toute
intervention directe de militaires ou de policiers du continent est à
haut risque. Il n’est d’autre solution qu’une démission de Mme Lam et l’élection d’une personnalité plus consensuelle. Malheureusement, rien ne laisse penser que Xi Jinping y soit prêt.
Par lemonde.fr