
Avec la pandémie de Covid-19 et la situation sanitaire périlleuse qu’elle occasionne, la course au
respirateur est lancée en Afrique où cet appareil est une denrée rare dans les hôpitaux. Un peu partout sur le continent, de jeunes ingénieurs ont ainsi décidé de monter au créneau en fabriquant des respirateurs artificiels low cost.
Les
poumons du mannequin allongé sur une table se gonflent d’air au rythme
saccadé du système électromécanique relié à un ventilateur par un tuyau
blanc. Cinq jeunes ingénieurs camerounais observent avec satisfaction le
travail sur lequel ils ont minutieusement planché des jours durant.
À
Douala, dans cette pièce de 9 mètres carrés qui leur sert de
laboratoire improvisé, ils viennent de réaliser la première ébauche d’un
respirateur artificiel d’urgence. Un prototype pas tout à fait au point
encore, mais dont les débuts sont prometteurs.
«Un respirateur doit pouvoir gérer plusieurs types de paramètres: le volume d’air total déplacé, le débit d’air, la durée des phases d’inspiration et d’expiration et le temps d’attente entre deux phases», explique à Sputnik Gédéon Nfongyele, le chef de projet.
C’est sur ces mêmes paramètres que s’appuie le prototype élaboré par ces
cinq anciens étudiants de la faculté de génie industriel de
l’université de Douala, la capitale économique du Cameroun. «Bien
que possédant l’électronique, il a un système mécanique pour réduire les
phases de développement et éviter au maximum le test de comptabilité
électromagnétique», ajoute Gédéon Nfondyele.
Ils ont fait le choix du verre acrylique car «il peut être découpé grâce à une machine CNC laser pour une précision accrue et un gain de temps remarquable», détaille encore le chef de projet.
La
jeune équipe d’ingénieurs camerounais assure avoir la capacité
technique de produire une dizaine de respirateurs par jour. Cette
production, réalisée à partir de leurs fonds propres, reste conditionnée
à une homologation préalable des autorités sanitaires nationales, mais
aussi un approvisionnement en matériel technique de fabrication.
«Nous espérons avoir le soutien de beaucoup de médecins pour nous accompagner dans notre démarche et nous permettre d’obtenir certains équipements dont nous ne disposons pas pour le moment, ce qui ralentit considérablement notre travail et compromet les chances de voir très rapidement notre respirateur dans les cliniques du Cameroun», a déclaré Gédéon Nfongyele.
Pareilles initiatives –impliquant
ingénieurs, inventeurs et d’autres compétences– sont légion en Afrique,
qui n’a pas été épargnée par la pandémie de Covid-19.
Cette mobilisation aspire, avant tout, à apporter une bouffée d’oxygène aux centres de santé, déficitaires en équipements médicaux.
L’intérêt tout particulier porté aux respirateurs s’explique tout
d’abord par la nature des complications médicales auxquelles expose la
maladie, mais aussi par la rareté du produit. Il est aujourd’hui
quasiment impossible de se procurer ce matériel d’assistance
respiratoire sur le marché international car tous les pays du monde se
l’arrachent à grand renfort de surenchères.
Les coûts de
production des modèles conçus ici et là diffèrent selon leurs
performances respectives. Si, au Cameroun, l’hypothétique production
unitaire en série est évaluée à 75.000 francs CFA (114 euros), au Togo,
les matériaux et frais d'usinage du prototype se montent à 274.000
francs CFA (417 euros).
Petit tour d’horizon des respirateurs made in Africa
Au
Togo –qui enregistre à la fin avril une centaine de cas déclarés de
contaminés au Covid-19–, une équipe composée de jeunes issus de
l’université de Lomé et de collaborateurs d’une start-up technologique
s’est «inspirée de modèles de respirateurs disponibles sur Internet» pour fabriquer leur propre prototype.
Ici
aussi, les matériaux locaux ont été privilégiés pour élaborer ce
modèle, sous le regard approbateur la Commission ad hoc de riposte au
Covid-19.
«On a su impliquer dès le début la Commission ad hoc mise en place par le gouvernement togolais pour gérer la crise. C’est à travers ce comité que l’on a accès à une expertise médicale pour peaufiner le prototype. Une fois passé le cap de la validation, on aura naturellement besoin de fonds pour une production en masse», a déclaré au micro de Sputnik celui qui dirige l’équipe, Ousia Assiongbon Foli-bebe.
Ces jeunes Togolais
sont actuellement capables de produire au maximum deux respirateurs par
semaine, selon Ousia Assiongbon Foli-bebe.
Quant au Sénégal, qui
semble s’en sortir mieux que nombre de ses voisins avec quelque 284
guérisons sur l’ensemble des 443 cas enregistrés au 28 avril, c’est une
équipe de quatre enseignants-chercheurs de l'École polytechnique de
Thiès qui a élaboré un respirateur.
Ces
chercheurs ont assuré pouvoir fabriquer une dizaine d’appareils par
jour. Et le coût unitaire de production ne reviendrait qu’à 40.000
francs CFA (61 euros).
La nécessaire validation par les autorités sanitaires
Pourquoi
se contenter d’apporter une assistance respiratoire quand on peut en
profiter pour soigner? C’est la question que s’est posée Newlove
Kushiator, un chercheur burkinabè de 40 ans qui comptabilise des
dizaines d’inventions, certaines étant même brevetées –notamment sa
pompe éolienne, sa machine à tisser, ou même le Faso Dan Fani.
Il a développé deux prototypes de respirateurs qui, selon lui, sont à distinguer d’un respirateur artificiel classique «en administrant une solution de traitement par voie respiratoire».
Le
premier prototype est un «respirateur à température variable», qui
permet d’envoyer de «l’air chaud dans les poumons en passant par les
tubes respiratoires afin d’en augmenter la température».
«De ce que j’ai appris sur le Covid-19, il y a parfois des dépôts de liquides occasionnés par le virus dans les tubes. Et ces liquides finissent par durcir au point d’obstruer les voies respiratoires. L'idée du respirateur à température variable est donc de réchauffer ces voies et d’empêcher ainsi tout durcissement de liquide», a expliqué Newlove Kushiator.
L’autre prototype est un «respirateur avec introduction de médicaments». Il permet de «transformer
des médicaments liquides en médicaments gazeux qu’ils envoient dans les
poumons en passant par les voies respiratoires». Il a assuré avoir déjà utilisé par le passé ce procédé pour traiter la toux, le rhume et la sinusite, «avec des résultats très positifs»,
mais convient ignorer quelle en serait l’efficacité contre le Covid-19.
Il avoue, toutefois, ne pas préjuger de l’efficacité de ses appareils
et que ceux-ci auront besoin d’être soumis à des tests cliniques.

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Photo. Newlove Kushiator
L’inventeur Newlove Kushiator et son respirateur avec introduction de médicament.
Pour
cela, Newlove Kushiator envisage de passer par le comité scientifique
burkinabè de lutte contre le Covid-19 –qui avait déjà eu à contacter
l’association nationale des inventeurs et innovateurs pour prendre
connaissance des solutions éventuelles que proposent ses membres– pour
atteindre le ministère de la Santé.
Invité
à commenter les inventions du chercheur, Bruno Tengang, directeur du
centre des maladies respiratoires de Douala, estime que le procédé
avancé par ce dernier peut se révéler «dangereux». La meilleure manière
de traiter les poumons reste l’administration orale du médicament,
soutient le médecin camerounais.
«Ces appareils devront faire l’objet d’une validation stricte par le comité scientifique mis en place au Burkina Faso. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas certain de comprendre l’intérêt d’insuffler de l’air chaud dans les poumons. Je suis pneumologue depuis une trentaine d’années et jamais je n’ai entendu parler d’une personne ventilée avec de l’air chaud. D'autant que cela pourrait brûler les poumons et occasionner d’importants dégâts», a conclu le médecin joint par Sputnik.
Par sputnik