
Les nuages s’accumulent sur Didier Raoult et son traitement contre le
Covid 19… A ce jour, un seul
essai randomisé (avec tirage au sort) a
été publié. Conclusion détaillée par la revue Prescrire
: pas d’efficacité démontrée, mais des effets indésirables beaucoup
plus nombreux (30%, contre 9% dans le groupe témoin). Et voilà que le
Conseil de l’Ordre des Médecins le menace désormais d’une suspension
d’activité immédiate !
Le 23 avril en effet, le Conseil a publié un communiqué qui, sans le
citer nommément, met gravement en cause le comportement du Pr Raoult. Le
titre donne le ton général : « Protocoles de recherches cliniques
illégaux : l’Ordre rappelle avec fermeté les règles en vigueur ». La
suite n’est guère plus amène. Rappelant qu’il « serait inadmissible dans
ce contexte {épidémique} de susciter de faux espoirs de guérison »,
l’Ordre saisit officiellement l’Agence du Médicament à propos de « ces
protocoles qui s’inscrivent en dehors de la législation en vigueur ».
Et ce communiqué se conclut sur une menace à peine voilée : « La mise
en danger des patients, s’il apparaissait qu’elle puisse être provoquée
par des traitement non validés scientifiquement, pourrait justifier la
saisine du Directeur général de l’ARS {Agence régionale de santé} pour
demander une suspension immédiate de l’activité de ces médecins ».
Pourquoi cette saisine de l’Agence du Médicament (ANSM) ? L’Ordre
des Médecins fait vraisemblablement ici référence aux travaux du Pr
Raoult, présentés « en avant-première » à Emmanuel Macron,
lors de son déplacement à Marseille le 9 avril dernier. Car ces travaux
ont justement fait l’objet d’une demande de précision de la part de
l‘ANSM il y a une dizaine de jours déjà, et elle attend toujours une
réponse du Pr Raoult…
La demande de l’ANSM était pourtant simple – du moins en apparence :
que le Pr Raoult apporte la preuve que les travaux en question
relevaient d’une étude « observationnelle » et pas
« interventionnelle ».
J’en vois au fond de la classe qui décrochent et, je l’admets, la distinction mérite explication. C’est un peu technique, mais accrochez-vous, ça en vaut la peine !
Une étude est dite « observationnelle » quand elle a pour objet un
traitement « habituel ». Elle est dite « interventionnelle » quand il
s’agit d’un traitement « expérimental ». En gros, dans le premier cas on
donne un médicament connu à des patients qu’on connaît bien, et dans le
second on est dans l’inédit, on tente des choses « sans filet ».
La nuance n’a rien d’anodin, en particulier sur le plan légal. Pour
une étude observationnelle, le cadre juridique est assez souple, il
suffit d’obtenir l’accord du CPP (comité de protection des personnes) de
son établissement. Pour une étude interventionnelle en revanche, le
cadre est beaucoup plus strict : le protocole doit être clairement
expliqué aux patients, les risques soigneusement pesés et l’étude doit
au préalable recevoir l’aval de l’ANSM.
Or, qu’a fait le Pr Raoult ? Son premier essai, sur un tout petit
nombre de patients, a bien été soumis à l’approbation de l’ANSM comme
« interventionnel ». En revanche, celui du 9 avril a été déclaré
« observationnel ». Avec cet argument : l’étude N°1 ayant « démontré »
selon le Pr Raoult l’efficacité du traitement, celle du 9 avril ne
serait rien d’autre que la confirmation – à plus grande échelle – de la
première.
Un raisonnement pour le moins discutable… Et qui pourrait lui valoir
de gros ennuis si l’ANSM ne le suivait pas. Car un essai clinique qui ne
respecte pas les procédures officielles, cela peut aller jusqu’à un an
de prison et 15 000 euros d’amende.
En l’occurrence, cette fameuse étude « observationnelle » que le Pr
Raoult a présentée à Emmanuel Macron portait sur 1061 patients. A en
croire son responsable, les résultats seraient excellents : près de 92%
de malades guéris en dix jours, près de 5% de malades guéris
« tardivement » et moins de 5% de « patients avec des complications ».
Bref, il s’agit d’un « traitement sûr et efficace » affirme Didier
Raoult.
Mais quand on se penche un peu plus près sur les détails de l’étude,
la réalité est moins reluisante. Les « complications » en question, ce
sont 31 patients hospitalisés pendant plus de dix jours, 10 transférés
en soins intensifs et 5 décès. De grosses « complications » en effet…
Par ailleurs, le Pr Raoult n’a pas comparé les résultats sur des
malades avec ou sans traitement – ce que les spécialistes appellent
« étude avec groupe témoin ». Sachant qu’une guérison intervient
spontanément dans 85% à 90% des cas, il est donc impossible de dire si
la solution préconisée par Didier Raoult fait mieux, bien, rien ou moins
que rien.
Plus gênant encore, l’étude souffre d’un nombre de biais
impressionnant. Qu’on en juge : le Pr Raoult a testé plus de 3000
personnes, mais il n’en a retenu au final que 1061. Pourquoi ? Comment ?
Sur quels critères ? Mystère. De plus, dans 95% des cas, les 1061 ne
souffraient que de formes légères de Covid – alors que dans la plupart
des autres études on est plutôt à 80%. La proportion de femmes (53%) ne
correspond pas à la réalité épidémiologique du Covid, qui touche
préférentiellement les hommes. Enfin, l’âge moyen des patients (43
ans !) est extraordinairement bas, puisque la quasi-totalité des décès
survient chez les 85 ans et plus.
Dernière « curiosité » de cette étude : elle… n’existe pas ! En
réalité, Didier Raoult s’est contenté d’en présenter un résumé succint,
sans mentionner les effets indésirables et sans la soumettre à des
revues internationales, comme c’est la règle pour toute publication
scientifique sérieuse.
Bref, cette étude n’est pas observationnelle. Elle n’a d’étude que le
nom. Elle n’est pas éthique, elle n’a pas respecté les protocoles
habituels, elle n’est pas rigoureuse. Ca fait beaucoup de la part d’un
« grand scientifique », pour reprendre les termes employés par Emanuel
Macron après sa visite à Marseille.
Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que cela fait des semaines
que de nombreux chercheurs dénoncent le comportement de Didier Raoult.
Et que toutes les institutions officielles le savent – L’ANSM, le
Conseil de l’Ordre, l’Académie de Médecine, l’Inserm et j’en passe –
sans que personne ne prenne ses responsabilités. Ce qui est grave, c’est
qu’un Président de la République adoube un personnage peu scrupuleux en
se faisant présenter des travaux qui ne sont pas sérieux. Ce qui est
grave, c’est que des Français sont toujours convaincus que Didier Raoult
est victime d’une cabale parce qu’il est marseillais, atypique, grande
gueule et à contre-courant de la doctrine « officielle ». Oui, c’est
grave docteur.
Par lexpress.fr