TRACT DE CRISE #34. Les éditions Gallimard ont proposé à
leurs auteurs de réfléchir aux
questions que soulève l’épidémie.
Extrait.
« La réélection de M. Trump fait désormais face à
deux obstacles : une incapacité à se saisir de la crise à
bras-le-corps ; et l’émergence d’un challenger expérimenté et
empathique. À ce stade, l’effet de ralliement en temps de crise continue
de jouer et le président reste capable de l’emporter. Il fera campagne
sur des thèmes qui lui sont chers, accusant la Chine d’être à l’origine
de la crise, stigmatisant l’incapacité des organisations internationales
et promettant encore davantage de protection aux frontières. Dans tous
les cas, il sera difficile à une Amérique dont la réaction a été
désordonnée et qui pourrait connaître une catastrophe sans précédent
dans l’histoire moderne du pays de se poser en modèle. Comme la peste
pour Athènes, le Covid-19 accélèrera-t-il le déclin de l’Amérique ?
L’attitude
de l’Europe n’a guère été plus reluisante. On sait que les compétences
de l’Union en matière sanitaire sont limitées. Il n’empêche : sa
réaction a été tardive, tout comme l’a été la solidarité entre ses
membres. Certes, la Banque centrale européenne a pris la mesure de
l’impact de la pandémie et l’on peut parier que les prophètes de malheur
sur la capacité de survie de l’Union seront une fois de plus pris en
défaut. Mais le risque existe de voir certains de ses acquis (Schengen)
être mis entre parenthèses, et l’ambition d’une “Europe géopolitique” passer à la trappe. C’est ainsi le “vieil Occident”
qui a été le plus frappé, jusqu’à présent, par la crise : les pays les
plus touchés, on l’a peu remarqué, sont tous des États membres de
l’Alliance atlantique.
La Chine, elle, a été le problème avant de
tenter de faire partie de la solution via l’aide internationale. On peut
douter qu’elle sorte grandie de la crise : retard dans la gestion de la
pandémie, lanceurs d’alerte réduits au silence, propagande diplomatique
éhontée, masques et tests inutilisables… Sa perte de crédit en Asie, en
Europe et en Afrique est substantielle. Et sa capacité à garantir la
légitimité de ses dirigeants par la poursuite de la croissance
sérieusement mise en cause.
Au fond, aucun des modèles politiques contemporains ne s’est révélé
particulièrement apte à gérer efficacement cette crise : ni les grandes
démocraties ; ni les autocraties ou les dictatures ; et encore moins les
populismes. Sauf à imaginer un effondrement économique sur lequel ces
derniers pourraient prospérer de nouveau, les dirigeants populistes sont
en effet confrontés au mur du réel : à leur corps défendant, la science
et la technocratie se révèlent indispensables pour se confronter à une
telle pandémie.
Ainsi les thèses des universitaires tels que
Stephen Walt ou Kishore Mahbubani, rappelant qu’ils prédisent depuis
vingt ans le transfert de la puissance de l’Ouest à l’Est,
laissent-elles toujours aussi dubitatif. Il est au fond plus probable
que nous entrions dans une période qui rappelle ce que Pierre Hassner
avait appelé, à propos de la rivalité américano-soviétique dans la
deuxième partie des années 1970, la “décadence compétitive”.
Autrement dit, davantage qu’à une épreuve de force entre grandes
puissances, nous serions exposés à une épreuve de faiblesse, qui ne sera
pas sans danger. »
TRACT DE CRISE #34. Les éditions Gallimard ont proposé à
leurs auteurs de réfléchir aux questions que soulève l’épidémie.
Extrait.
« La réélection de M. Trump fait désormais face à
deux obstacles : une incapacité à se saisir de la crise à
bras-le-corps ; et l’émergence d’un challenger expérimenté et
empathique. À ce stade, l’effet de ralliement en temps de crise continue
de jouer et le président reste capable de l’emporter. Il fera campagne
sur des thèmes qui lui sont chers, accusant la Chine d’être à l’origine
de la crise, stigmatisant l’incapacité des organisations internationales
et promettant encore davantage de protection aux frontières. Dans tous
les cas, il sera difficile à une Amérique dont la réaction a été
désordonnée et qui pourrait connaître une catastrophe sans précédent
dans l’histoire moderne du pays de se poser en modèle. Comme la peste
pour Athènes, le Covid-19 accélèrera-t-il le déclin de l’Amérique ?
L’attitude
de l’Europe n’a guère été plus reluisante. On sait que les compétences
de l’Union en matière sanitaire sont limitées. Il n’empêche : sa
réaction a été tardive, tout comme l’a été la solidarité entre ses
membres. Certes, la Banque centrale européenne a pris la mesure de
l’impact de la pandémie et l’on peut parier que les prophètes de malheur
sur la capacité de survie de l’Union seront une fois de plus pris en
défaut. Mais le risque existe de voir certains de ses acquis (Schengen)
être mis entre parenthèses, et l’ambition d’une “Europe géopolitique” passer à la trappe. C’est ainsi le “vieil Occident”
qui a été le plus frappé, jusqu’à présent, par la crise : les pays les
plus touchés, on l’a peu remarqué, sont tous des États membres de
l’Alliance atlantique.
La Chine, elle, a été le problème avant de
tenter de faire partie de la solution via l’aide internationale. On peut
douter qu’elle sorte grandie de la crise : retard dans la gestion de la
pandémie, lanceurs d’alerte réduits au silence, propagande diplomatique
éhontée, masques et tests inutilisables… Sa perte de crédit en Asie, en
Europe et en Afrique est substantielle. Et sa capacité à garantir la
légitimité de ses dirigeants par la poursuite de la croissance
sérieusement mise en cause.
Au fond, aucun des modèles politiques contemporains ne s’est révélé
particulièrement apte à gérer efficacement cette crise : ni les grandes
démocraties ; ni les autocraties ou les dictatures ; et encore moins les
populismes. Sauf à imaginer un effondrement économique sur lequel ces
derniers pourraient prospérer de nouveau, les dirigeants populistes sont
en effet confrontés au mur du réel : à leur corps défendant, la science
et la technocratie se révèlent indispensables pour se confronter à une
telle pandémie.
Ainsi les thèses des universitaires tels que
Stephen Walt ou Kishore Mahbubani, rappelant qu’ils prédisent depuis
vingt ans le transfert de la puissance de l’Ouest à l’Est,
laissent-elles toujours aussi dubitatif. Il est au fond plus probable
que nous entrions dans une période qui rappelle ce que Pierre Hassner
avait appelé, à propos de la rivalité américano-soviétique dans la
deuxième partie des années 1970, la “décadence compétitive”.
Autrement dit, davantage qu’à une épreuve de force entre grandes
puissances, nous serions exposés à une épreuve de faiblesse, qui ne sera
pas sans danger. »
Bruno Tertrais (Politologue)
Lire l’intégralité du texte sur le site des Tracts de crise des éditions Gallimard.