
On
en sait plus sur les déterminants de la réponse de la Banque des États
de l’Afrique centrale (Beac)
aux conséquences économiques de la pandémie
de Covid-19 dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique
centrale (Cemac). Ce 27 avril, la banque centrale a finalement rendu
public le rapport sur la politique monétaire qui a inspiré les décisions
prises un mois plutôt lors de son premier Comité de politique monétaire
(CPM) de l’année.
On
y découvre une institution tiraillée entre la volonté de soutenir les
économies de la sous-région, en besoin de financement pour faire face
aux impacts de la pandémie, et le devoir de préserver la parité entre le
franc CFA et l’euro, sa principale mission. En fait, le Coronavirus a,
comme qui dirait, tiré sur une ambulance.
En
effet, à la suite de la baisse drastique des prix du pétrole (principal
produit d’exportation de la Cemac) intervenue dès 2014, les réserves
extérieures de la communauté sont tombées à moins de deux mois
d’importation faisant craindre une dévaluation du franc CFA. Pour éviter
ce scénario, considéré comme catastrophe, les pays ont opté, en
fin 2016 lors d’un sommet extraordinaire à Yaoundé, pour un ajustement
budgétaire sous l’assistance du Fonds monétaire international (FMI).
Le Coronavirus est donc arrivé alors que la sous-région n’avait pas encore jugulé ce choc. « Le
niveau des réserves de change de la zone est ressorti à 3,2
d’importations des biens et services à fin décembre 2019, soit un niveau
à peine supérieur au seuil minimal de 3 mois d’importations des biens
et services, sachant qu’il est exigé un niveau de 5 mois pour les pays
exportateurs de matières premières comme ceux de la Cemac », constate la Beac.
Risque de dévaluation
Or,
les projections sont unanimes : la pandémie du Covid-19 devrait avoir
des conséquences économiques et financières néfastes. Dans son scénario
pessimiste (propagation rapide et de grande ampleur de la crise avec,
entre autres, pour effet de faire baisser le cours moyen du baril de
pétrole à 20 dollars en 2020), de plus en plus plausible, la banque
centrale prévoit une récession de l’économie de la Cemac (-4,9 avec
notamment une chute du PIB pétrolier à -15%) contre un taux de
croissance de 2% en 2019 ; une dégradation des déficits budgétaire et
courant respectivement à 6,6 et 8,6, contre 0,2 % et 1,5 % l’année
précédente.
« Si
les pays de la Cemac ne luttent pas efficacement contre la pandémie du
Covid-19 pour en limiter les conséquences économiques et financières, la
situation macroéconomique deviendrait insoutenable », prévient l’institut d’émission des pays de la Cemac. Et cela engendrait « un fort recul des réserves autour de 2 mois d’importations des biens et services, voir en deçà », ajoute la banque centrale.
« Une
telle évolution se traduirait par une réelle menace pour la stabilité
extérieure de la monnaie, soulignant ainsi le fait qu’en l’absence
d’ajustement budgétaire et de mobilisation conséquents des financements
extérieurs, la Beac serait de nouveau soumise aux mêmes risques sur la
parité de sa monnaie qu’en fin 2016 », met-elle en garde. Cette
inquiétude est partagée par Fitch Ratings. L’agence de notation estime
que la baisse des prix du pétrole exerce une forte pression sur la
parité entre le franc CFA et l’Euro.
Riposte
Lors
de la 3e session extraordinaire du Comité de pilotage (Copil) du
Programme des réformes économiques et financières de la Cemac
(Pref-Cemac), tenue le 28 mars 2020 à Brazzaville, les ministres en
charge de l’Économie, des Finances et de l’Intégration se sont mis
d’accord pour « L’urgence d’une action concertée, rapide et solidaire ».
Mais la réponse communautaire pour conjurer les effets néfastes de la
pandémie peine à prendre corps. Les États se montrent, pour l’instant,
davantage préoccupés par la riposte sanitaire.
« Malgré
la gravité de la situation macroéconomique résultant de la survenance
du scénario pessimiste, il importe de souligner que les marges de
manœuvre de la banque centrale, en matière de soutien à l’économie par
des injections massives de liquidité, sont limitées par le niveau encore
insatisfaisant de ses avoirs de réserve (3,27 mois d’importations de
biens et services en fin 2019) », indique de son côté la Beac.
Depuis
le mois d’avril, la banque centrale met chaque semaine à la disposition
du système bancaire 250 milliards de FCFA. Mais, ces opérations se
soldent, pour l’instant, par de faibles taux de souscription. Si la
donne venait à changer, l’enveloppe hebdomadaire pourrait être portée à
500 milliards de FCFA, comme autorisé par le CPM.
Mais à en croire le rapport de politique monétaire, la Beac pourrait difficilement aller plus loin. « Les
injections massives et non contrôlées de la liquidité par la banque
centrale se traduisent généralement par une dégradation de la stabilité
externe de la monnaie », relève le document. Déjà, informe le CPM, il est « impératif » pour la Beac « de
continuer à appliquer la réglementation de change de manière stricte
afin d’éviter des sorties spéculatives et injustifiées des capitaux ».
Appuis internationaux
Pour
l’instant, la question de la dévaluation ne se pose pas encore. À en
croire Fitch, fin février 2020, les réserves de change de la Cemac se
sont chiffrées à 8,5 milliards de dollars et représentaient 3,5 mois
d’importation. Un expert en programmation monétaire relativise
d’ailleurs les inquiétudes de la Beac. Pour ce dernier, du fait des
reports d’investissements publics qu’il entraine, le Covid-19 aura un
impact mitigé sur les déficits publics.
« Il
ne reste que le service de la dette pour peser sur les réserves de
change. Or, les institutions internationales sont en train de mettre en
œuvre des mécanismes pour revoir les échéanciers de remboursement et
encourager les autres créanciers à annuler et rééchelonner les dettes de
nos pays », explique-t-il. Le G20 donne la possibilité aux pays de
la Cemac d’obtenir un moratoire sur le service de la dette bilatérale
des huit derniers mois de l’année 2020. Mais cette offre est soumise à
des conditions qui pourraient dissuader plus d’un.
Pour
Fitch, les prêts concessionnels notamment ceux des institutions de
Brettons Woods seraient une autre bouée de sauvetage. D’ailleurs, avant
que survienne la crise du Covid-19, le principe d’une reconduction des
programmes d’ajustement structurel avec le FMI était déjà acquis. À tout
ceci, il faut aussi ajouter la garantie de convertibilité illimitée de
la France, prévue dans les accords de coopération monétaire, même si,
plus d’une fois, Paris s’est souvent défaussée.
Aboudi Ottou
Par Investir au Cameroun