Le Falcon 7X de la flotte d’Etat a été immobilisé à la demande d’un
homme d’affaires qui réclame le
réglement d’une créance de plus d’un
milliard d’euros, provoquant l’ire de la présidence congolaise.
C’est peut-être un aller simple. Vendredi 5 juin peu après 16 heures, un jet estampillé « République du Congo »
s’est posé sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Ce Falcon
7X de la flotte d’Etat, qui a parfois transporté le président Denis
Sassou-Nguesso, avant que le chef d’Etat ne privilégie des avions plus
grands et plus luxueux, a été immobilisé le lendemain matin puis saisi
lundi 8 juin. Ce qui a provoqué l’ire de la présidence congolaise.
Une
facture non honorée à un homme d’affaires anglo-libanais, Mohsen
Hojeij, ancien proche du président Sassou-Nguesso est à l’origine de la
saisie. Un impayé initial de 100 millions d’euros en 1992 qui, au fil
des ans, s’est transformé en une dette de 1,2 milliard d’euros, soit
près de 15 % du produit intérieur brut (PIB) du Congo.
A
l’issue d’une âpre et longue bataille devant les tribunaux,
Commisimpex, la société de Mohsen Hojeij, a fini par avoir gain de
cause. La Cour de cassation de France a rendu des « décisions définitives » et une
sentence arbitrale prononcée par la Chambre de commerce internationale,
à Paris lui donne raison. La justice française autorise donc à saisir
tout actif de l’Etat congolais, à l’exception de ceux à usage
diplomatique.
Traque minutieuse d’actifs du Congo
Lors
de ses derniers déplacements, l’avion prenait soin de ne pas laisser de
traces sur les sites de suivi de vols. Puis, il a réapparu dans les
radars ce vendredi 5 juin, parti du nord-ouest du Congo avant de se
poser à Bordeaux où il devait entrer en révision. L’appareil pourrait
être prochainement vendu aux enchères entre 20 et 25 millions d’euros,
ou plus selon le faste de l’aménagement intérieur. « On est à l’affût et on poursuit la recherche des actifs. Dès qu’on peut saisir, on saisit », précise Me Jacques-Alexandre Genet, avocat de la société Commisimpex.
Pour
l’instant, cette traque minutieuse d’actifs de l’Etat congolais a
permis à la société de M. Hojeij de saisir des créances bancaires,
quelques financements pétroliers ou encore des règlements fiscaux dus
par des entreprises françaises. Près de 50 millions d’euros ont ainsi
été récupérés, auxquels s’ajoute ce jet. Mais on est encore bien loin du
1,2 milliard d’euros.
« Commisimpex
sait très bien qu’elle n’a pas le droit de saisir des biens à usage
diplomatique. Or, ils ne font que ça pour nuire au fonctionnement de
l’Etat qui ne se laissera pas faire, observe Me Kevin Grossman, qui défend la république du Congo. Cette saisie est nulle et on va récupérer l’aéronef », insiste-t-il même. Reste à démontrer le caractère diplomatique de l’avion civil.
Détournements de fonds publics présumés
Pour l’heure, la bataille judiciaire entre l’Etat congolais et Commisimpex se poursuit. « Cette société de droit congolais est en liquidation et a une créance fiscale à l’égard du Congo de 1,3 milliard d’euros, ajoute Me Simone Bernard-Dupré, avocat de l’Etat congolais et conseillère du président Sassou-Nguesso. Tout
ce que Commisimpex saisit doit normalement revenir à Brazzaville. Mais
M. Hojeij n’a pas rapatrié les fonds et se permet de saisir un jet
présidentiel. C’est odieux. »
Au
pouvoir depuis plus de trente ans, le président autocrate congolais et
les membres de son clan sont régulièrement visés par des enquêtes
judiciaires en Europe pour des détournements de fonds publics présumés
et d’autres crimes économiques. Ce pays pétrolier d’Afrique centrale
reste miné par la mauvaise gouvernance et l’accaparement des richesses –
entre autres pétrolières – par la famille présidentielle.
Près
de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et le pays
cumule les dettes que le régime a tenté, en vain, de cacher au Fonds
monétaire international (FMI) et aux agences de notation. Il y a celle
de Commisimpex qui estime n’avoir d’autres choix que de multiplier les
saisies, dans l’espoir de se rembourser. Une manière de poser le rapport
de force, dans l’attente d’une négociation ? « Pour négocier, il
faut être deux. Et, pour l’instant, le Congo a eu une attitude
consistant à dissimuler sa dette, ce qui n’est pas tolérable », dit Me Genet.
En
cette période de pandémie mondiale conjuguée à une chute du cours des
matières premières, le Congo-Brazzaville s’est une fois encore tourné
vers le FMI pour obtenir une aide d’urgence de plusieurs centaines de
millions d’euros. La société de M. Hojeij continue de réclamer plus d’un
milliard d’euros.