![Aboubakar Soumahoro le 23 avril 2015 lors d'une manifestation pour les droits des sans-papiers [Gabriel BOUYS / AFP/Archives] Aboubakar Soumahoro le 23 avril 2015 lors d'une manifestation pour les droits des sans-papiers [Gabriel BOUYS / AFP/Archives]](https://static.cnews.fr/sites/default/files/styles/image_640_360/public/d25f32b02c1d3a5107ea555c4a0b09fe9242b098.jpg?itok=JC7MG03F)
En Italie, il est une figure de la défense
des ouvriers agricoles, souvent des sans papiers exploités. Le
syndicaliste Aboubakar Soumahoro réclame des mesures d'urgence pour ces
«invisibles» que la pandémie fait sombrer un peu plus dans la précarité.
Le 16 juin, lors des «états généraux» de l'économie
organisés par le gouvernement pour préparer un plan de relance
post-pandémie, Aboubakar Soumahoro s'est enchaîné devant le somptueux
palais romain du XVIIème où était organisé l’événement.
Ce jour-là, il voulait faire
entendre la voix des précaires et réclamer une réforme de la chaîne
d'approvisionnement agricole, un «plan national d'urgence pour le
travail» et une modification des lois sur l'immigration.
«Nous souhaitons faire approuver par le gouvernement
une 'licence alimentaire'», explique Aboubakar Soumahoro, en charge du
secteur agricole de l'USB, l'un des principaux syndicats du pays,
indépendant.
Cette «licence» imposerait que soit mentionné sur
l'emballage des aliments achetés qu'ils ont été produits sans
exploitation des travailleurs.
«S'il était adopté, le dispositif permettait aux consommateurs de
connaître ce qu'il mange et aux agriculteurs de ne pas avoir les mains
liées par la grande distribution», ajoute l'activiste italien, né en
Côte d'Ivoire il y a 40 ans.
Celle-ci «leur impose des prix qui ne leur permettent pas de vivre décemment de leur travail», accuse-t-il.
Des centaines de milliers de travailleurs agricoles étrangers sont
exposés en Italie au risque d'exploitation, selon les syndicats.
Une partie d'entre eux sont soumis au «caporalato», forme moderne
d'esclavage où des intermédiaires, souvent liés au crime organisé,
siphonnent une grande partie des maigres salaires versés.
Arrivé en Italie il y a 20 ans, lui-même ancien ramasseur de tomates
sous le soleil brûlant des Pouilles (Sud), Aboubakar Soumahoro est
aujourd'hui une voix de gauche qui compte dans le paysage politique
italien, et l'une des rares personnalités noires de la scène publique
italienne.
«Néo-esclavage»
Souvent invité sur les plateaux de télévision, actif sur les réseaux
sociaux, il rechigne toutefois à évoquer son parcours atypique,
préférant mettre en avant les conditions de vies infernales que
subissent des migrants employés dans les campagnes pour la récolte des
fruits et de légumes.
«Je ne suis personne, je suis juste quelqu'un qui s'inscrit dans une
lutte collective où l'on veut croire que les rêves peuvent devenir
réalité», répond-il. «J'ai connu les mêmes frustrations, les mêmes
humiliations, les mêmes inquiétudes qu'un grand nombre de jeunes
Italiens», ajoute simplement l'activiste.
Il conteste la façon dont le gouvernement a récemment décidé de
régulariser temporairement des migrants en situation irrégulière, une
mesure qui vise notamment à pallier la pénurie de main d'œuvre agricole
après la pandémie de coronavirus.
Depuis le 1er juin et jusqu'au 15 août, les étrangers dont le permis
de séjour a expiré depuis le 31 octobre 2019 peuvent demander un permis
de séjour pour une durée n'excédant pas six mois.
A la mi-juin, 32.000 demandes étaient parvenues au ministère de
l'Intérieur. «Si l'on considère qu'environ 600.000 personnes en Italie
sont sans titre de séjour, on peut affirmer que nous sommes face à un
échec, que ça ne fonctionne pas», affirme M. Soumahoro.
Selon lui, les employeurs à qui il revient d'effectuer la démarche,
moyennant une contribution forfaitaire de 500 euros, n'ont pas
l'intention de le faire «car non seulement c'est trop cher, mais il y a
aussi des milliers de travailleurs exclus parce que leur permis de
séjour a expiré avant la date prévue» du 31 octobre.
«Nous demandons une régularisation d'un an minimum parce dans une
phase dramatique comme celle que nous vivons, on ne peut pas trouver un
travail en six mois», affirme Aboubakar Soumahoro.
«On utilise l'argument de la couleur de la peau ou la provenance
géographique pour réduire des personnes à des conditions de
néo-esclavage», fustige-t-il. «Mais notre combat concerne aussi des
Italiens qui travaillent, des misérables qui vivent dans des conditions
pénibles».
Le syndicaliste exhorte aussi l'exécutif à abroger les décrets
sécurité, des lois qu'avait fait adopter en 2018 et 2019 l'ancien
ministre de l'Intérieur Matteo Salvini, chef de la Ligue (extrême
droite).
Ces textes ont introduit la suppression du permis de séjour pour
raisons humanitaires, des fonds pour le rapatriement des migrants en
situation irrégulière et des restrictions en matières de sauvetage des
migrants en mer.
Ces mesures n'ont pas été modifiées par la coalition formée du
Mouvement Cinq étoiles (antisystème) et du Parti démocrate (gauche), au
pouvoir depuis septembre dernier.
«Le gouvernement nous a dit qu'il veut réformer ces lois, alors que
nous voulons qu'elles soient éliminées», explique M. Soumahoro.
Par
AFP avec CNEWS