Une famille nantaise est sans nouvelles de la djihadiste de
37 ans qui s'est enfuie d'un camp
syrien avec son fils. Des proches de
femmes ayant rejoint l'État islamique se battent pour qu'elles soient
jugées en France.
La mère ouvre les rideaux d'une chambre
vide et regarde, pensive, la balançoire au fond de son jardin. Depuis
que sa fille, 37 ans aujourd'hui, est entrée au camp d'Al-Hol, contrôlé
par les Kurdes dans le Nord-Est syrien en mars 2019, cette Nantaise de
70 ans vit en suspens. Dans un sourire triste, elle sort de la commode
les jouets achetés pour son petit-fils né là-bas, dans ce qui était
alors l'État islamique
(EI), en 2017. Des biberons et des couches, des vêtements taille 2 ans,
puis 3 ans. Il y a plus d'un an que tous les jours elle attend le
rapatriement de sa fille et de son petit-fils virtuel.
Il y a deux
mois, l'attente est devenue inquiétude lancinante. La détenue, avec qui
elle conversait jusqu'alors sur WhatsApp quasi quotidiennement,
l'informe qu'elle s'est évadée. Elle ne précise pas comment, elle sait
que les services de renseignement surveillent les familles de ces femmes
djihadistes, ou femmes de djihadistes. Mais elle dit pourquoi : elle
envoie à sa mère une photo de son crâne en partie rasé, barré de 12
points de suture. Des coups de barre de fer donnés par les gardiens
kurdes, raconte-t‑elle, à la suite d'une émeute dans le camp, devant son
fils qui a si peur des militaires, les seuls hommes qu'il connaît. La
mère appelle tout de suite son avocate, Marie Dosé, qui l'informe que la
Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) va certainement
l'interroger. Pas de problème, cela fait des années que la Nantaise née
en Algérie collabore avec les autorités. "Pour sauver ma fille",
dit-elle.
Silence radio
Mais depuis deux mois, rien. Aucune nouvelle
officielle. Juste la rumeur qui circule dans le camp : la jeune femme
aurait été capturée. Elle serait détenue. Mais où et par qui? Même les
services de renseignement auraient perdu sa trace. "Je suis horrifiée",
confie la mère, qui n'éteint plus jamais son portable de peur de rater
un appel. "Elle peut être violée, abusée. Je ne sais pas si elle mange
bien, si elle n'est pas malade…" Sur la foi d'une information du Centre
d'analyse du terrorisme (CAT), Le Parisien a révélé le 31 mai
que 12 autres djihadistes détenues dans des prisons syriennes s'étaient
évadées, soit 10% des Françaises détenues en Syrie.
"Avec l'Etat, on partage la faute. Ma fille est partie, ils n'ont pas su l'arrêter"
Pour
la Nantaise, comme pour d'autres proches de Français partis rejoindre
l'État islamique, Paris, qui refuse de rapatrier ses citoyens pour les
juger, est en partie responsable de ces évasions. En laissant des
milliers de femmes et d'enfants s'entasser dans des camps tenus par les
Kurdes, dans des conditions déplorables, l'État fait, selon eux, de la
fuite le seul salut possible. "On laisse des bébés mourir d'hypothermie,
de dénutrition, piqués par des scorpions", égrène celle qui déroule son
fil WhatsApp plein de photos de son petit-fils, 3 ans à peine et un
sourire aux dents cabossées. Elle assure que sa fille "voulait gagner la
Turquie", pont vers la France où elle savait qu'elle "serait jugée", où
son garçon pourrait "aller à l'école et vivre sans guerre".
La
grand-mère, qui milite dans une association pour les droits des femmes,
avait "dénoncé" la radicalisation de sa fille dès 2012. D'ordinaire
"très coquette", la jeune femme s'était mise à ne plus porter que des
manches longues et avait abandonné tout maquillage. Elle avait rencontré
un garçon qu'elle n'avait pas voulu présenter à ses proches. Et, petit à
petit, s'était éloignée. Les services de renseignement avaient d'abord
été rassurants : "On a suivi votre fille, il n'y a rien d'alarmant." Un
officier avait même conseillé la lecture d'un livre sur les salafistes,
"pas tous intégristes". Mais le 12 février 2015, elle apprend le départ
de sa fille pour la Syrie. Folle de rage, elle appelle la DGSI, qui
regrette de l'avoir "loupée à quarante-huit heures près". "Avec l'État,
lance-t‑elle aujourd'hui, on partage la faute. Ma fille est partie, ils
n'ont pas su l'arrêter."
Garder le contact
La mère inonde
de messages tous les canaux pour accéder à son enfant. Qui finit au bout
de plusieurs semaines par lui envoyer un e-mail, en réponse,
écrit-elle, à "l'inquiétude légitime d'une mère". "Ne crois pas que je
suis partie faire le djihad car les femmes ne combattent pas",
martèle-t‑elle en majuscules à sa mère qui tente de glisser que ce n'est
"pas le bon choix", avec toujours la peur de la braquer et de la perdre
à jamais. Encouragée par la DGSI, la femme garde le contact et vit à
distance l'accouchement difficile durant lequel sa fille a "failli
mourir", en 2017. Puis sa volonté de fuir l'État islamique, après avoir
refusé un nouveau mariage après la naissance de son fils. "Aidez-la!",
a-t‑elle supplié dans le bureau des policiers. Au départ, la mère a été
soulagée d'apprendre que sa fille était retenue au camp d'Al-Hol. Mais
au fil des messages, écrits et vocaux, elle a déchanté.
"Salut maman, ils ont tué des femmes… Ici tous les enfants ont crié, hurlé… Ils ont eu trop peur"
Dans
la grande maison résonne la voix claire de la djihadiste, une voix de
jeune fille : "Salut maman, ils ont tué des femmes… Ici tous les enfants
ont crié, hurlé… Ils ont eu trop peur." Ou encore : "Ouais maman, on
revient du souk. Ils étaient dix avec des armes… L'EI voulait entrer,
essayer de récupérer les filles." Sur un autre message, la prisonnière
raconte qu'elle a montré une photo de sa mère à son fils et qu'il a dit
"mamie". La septuagénaire, comme les autres grands-parents du collectif
Familles unies dont elle fait partie, espère rencontrer le petit garçon
avant son "dernier voyage" à elle.
Par leJDD.fr