
Alors que des statues de
Christophe Colomb sont vandalisées aux États-Unis, la lutte contre la
symbolique coloniale et esclavagiste s’étend en Europe, où plusieurs
monuments à la mémoire de personnages historiques au passé controversé
sont la cible de militants ou retirés des lieux publics à titre
préventif.
Les
monuments à la mémoire de l’explorateur italien Christophe Colomb, à
qui on attribue la découverte de l’Amérique en 1492, n’ont pas la cote
ces jours-ci aux États-Unis où au moins trois statues qui lui sont
dédiées ont été vandalisées.
L’une d’entre elles a été décapitée dans un parc de
Boston, une a été jetée dans un lac en Virginie tandis qu’une autre a
été vandalisée à la peinture à Miami dans la foulée du mouvement
antiraciste qui déferle sur les États-Unis depuis la mort de George
Floyd, 46 ans, lors de son arrestation par des policiers le 25 mai
dernier à Minneapolis.
À
Boston, où la statue de l’explorateur génois était érigée sur une stèle
dans un parc portant son nom, la police a ouvert une enquête sur cet
acte de vandalisme, mais n’avait arrêté aucun suspect jeudi matin.
Le maire de Boston, Martin Walsh, a indiqué que la statue
serait enlevée en attendant une décision définitive sur sa restauration
ou son retrait de ce lieu public.
À Miami, en Floride, une statue de Christophe Colomb qui
se trouvait dans un parc a été recouverte d’inscriptions à la peinture
rouge sang dont le slogan
Black Lives Matter
(La vie des Noirs compte) et le nom de George Floyd. Plusieurs
personnes ont été arrêtées par la police dans cette affaire, rapporte le
Miami Herald.
À
Richmond, en Virginie, un État historiquement reconnu pour son passé
esclavagiste, une statue de Colomb a été abattue mardi soir par des
manifestants qui ont ensuite traîné le monument jusqu'à un lac, où ils
l’ont jeté.
Colomb vu par les Premières Nations
Ce
n’est pas la première fois que la symbolique entourant le découvreur de
l’Amérique est attaquée par des mouvements qui militent contre le
racisme aux États-Unis.
C’est que, pour plusieurs d’entre eux, l’explorateur
génois n’a pas que découvert l’Amérique, il est également, selon eux,
l’un des principaux acteurs du génocide des Autochtones et des indigènes
d’Amérique.
Ce qui fait de Christophe Colomb, dans le discours de ces
militants, un personnage qu'il faut dénoncer au même titre que les
esclavagistes ou que les généraux confédérés de la guerre de Sécession.
De plus en plus conscientes de la controverse entourant
l’héritage historique de Christophe Colomb pour les peuples des
Premières Nations notamment, de nombreuses villes américaines ont
remplacé la célébration du Columbus Day, en octobre, par une journée
d’hommage aux peuples autochtones.
Mais à Boston et à New York, qui abritent d’importantes
communautés d’origine italienne, la commémoration de l’héritage de ce
personnage historique demeure bien ancrée.
La colère gagne l'Europe
Or,
il n’y a pas qu’en Amérique que la mort de George Floyd attise le
militantisme contre des symboles historiques controversés.
En
Belgique, plusieurs statues du roi Léopold II, colonisateur du Congo
notamment, ont été aspergées de peinture et recouvertes de graffitis, à
Bruxelles et dans la ville de Ghent notamment, pour dénoncer le passé
raciste et esclavagiste du pays en Afrique.
Au Royaume-Uni, plusieurs statues ont aussi subi les
foudres des mouvements antiracisme, notamment à Bristol, dans le
sud-ouest du pays, où les autorités ont repêché jeudi la statue de
bronze d’Edward Colston, un parlementaire et mécène anglais du 18e
siècle qui faisait aussi dans la traite d’esclaves.
Le monument, érigé en 1895, avait été abattu et jeté dans la mer dimanche dernier par des manifestants qui protestaient contre la mort de George Floyd .
Tôt
ce matin, nous avons récupéré la statue de Colston dans le port de
Bristol. Elle a été transportée dans un endroit sûr avant de faire plus
tard partie de nos collections dans nos musées
, a tweeté jeudi matin le conseil municipal de Bristol.
La Ville compte exposer la statue dans un musée aux côtés d'affiches du mouvement
Black Lives Matter
.De Winston Churchill à Baden-Powell
Même la statue de l’ex-premier ministre Winston Churchill a été marquée du mot
raciste
lors d’une manifestation à Londres.
Ces coups d’éclat des mouvements antiracisme ont suscité
une certaine prise de conscience chez les Britanniques sur les symboles
historiques publiquement valorisés dans ce pays qui a dirigé l’un des
plus grands empires coloniaux de l’histoire.
C’est le cas notamment de la statue de Cecil Rhodes,
érigée dans la ville universitaire d'Oxford, contre laquelle ont
manifesté des milliers de personnes mardi.
Aux commandes de la colonie du Cap, en Afrique du Sud, au 19e siècle,
Cecil Rhodes était aussi un magnat de l’industrie minière. Fondateur,
entre autres, de la compagnie diamantaire De Beers, il a érigé sa
fortune et son pouvoir sur l’exploitation des Noirs d’Afrique du Sud.
Dans le port de la ville de Poole, dans le sud du
Royaume-Uni, les autorités locales ont quant à elles décidé d’agir
préventivement en retirant la statue du fondateur du scoutisme, Robert
Baden-Powell, érigée en 2008 en soulignant que Baden-Powell avait
rencontré Hartmann Lauterbacher, chef d'état-major des Jeunesses
hitlériennes, en novembre 1937, selon des documents des services
britanniques de renseignement déclassifiés il y a 10 ans.
Nous
reconnaissons les opinions divergentes sur les activités de la vie de
Baden-Powell et voulons avoir le temps pour que toutes les opinions
s'expriment, et minimiser le risque de désordre public [...] qui
pourrait survenir si la statue restait sur place
, a expliqué le conseil local dans un communiqué.
À
Londres, la statue du marchand d'esclaves Robert Milligan, dont une
pétition demandait le retrait, a aussi été enlevée en hâte cette semaine
dans le quartier des Docklands.
Le maire travailliste de Londres Sadiq Khan a d’ailleurs
annoncé la création d'une commission pour que les statues et noms des
rues reflètent davantage la diversité de la ville.
Il n’y a pas qu’au Royaume-Uni qu’on prend ses
précautions
face aux symboles historiques.
À Bordeaux, en France, qui fut l’un des principaux ports
de traite d'esclaves, les autorités municipales ont, elles aussi, décidé
d’agir en amont en ajoutant dans les rues, depuis quelques années, des
plaques explicatives rappelant le passé esclavagiste de la ville. Ces
plaques sont notamment apposées dans les rues et les lieux publics
portant le nom de vendeurs d’esclaves.
Sur la rue David Gradis (1665-1751) par exemple, une
plaque explique qu'il a armé dix navires pour la traite des Noirs et
qu'il a aussi acheté un terrain devenu le premier cimetière juif de la
ville. Un code QR renvoie à un site Internet détaillé.
C'est à ce titre et parce que ses descendants furent aussi des notables bordelais que son nom a été donné à cette rue
, a expliqué à l’Agence France-Presse l’adjoint au maire de la ville, Marik Fetouh.Effacer l'histoire
Mais le mouvement de lutte contre le racisme et son héritage historique ne fait pas que des adeptes.
Si certains voient dans ces monuments une glorification
de crimes du passé, d'autres voient dans leur retrait une manière
d'effacer l'histoire sans s'attaquer aux causes du racisme.
D’autres groupes profitent aussi du mouvement actuel pour
lancer des contre-mesures. Ce fut le cas notamment à Pau, dans le
sud-ouest de la France, où une statue d'esclave noir a été aspergée de
peinture blanche.
Un pot de peinture portant l'inscription
White lives Matter
a été retrouvé à une dizaine de mètres du monument vandalisé.
À Londres, des militants d'extrême droite prévoient aussi
de manifester samedi autour de la statue de Winston Churchill
vandalisée le week-end dernier en marge de manifestations antiracistes.
Par Radio-Canada