
Baptisée
du nom d’un ancien royaume de l’actuel Nigeria, la République du Bénin
indépendante
depuis 1960 est devenue l’un des principaux porte-étendards
de la démocratie en Afrique. Pourtant, en 60 ans d’indépendance ce
petit pays d’Afrique de l’Ouest, coincé entre le géant nigérian et son
alter ego togolais, a traversé de multiples péripéties économiques,
sociales et politiques qui ont façonné sa structure actuelle. Six
décennies après son indépendance, le Bénin a-t-il relevé le défi du
développement ?
Un « modèle démocratique » africain
Au
Bénin, certains livres d’histoires enseignent que l’indépendance a été
octroyée par la France, pays colonisateur. En d’autres termes, les
premiers dirigeants de l’ancien Dahomey n’auraient pas fait partie de ce
mouvement de pays qui souhaitaient « quitter le plus tôt possible » le giron de la métropole française. Pourtant, dans les faits, on remarque que même si le pays vote « oui »
au référendum de 1958 créant la communauté française d’Afrique, les
premiers leaders dahoméens ont toujours fait partie des mouvements
anticolonialistes qui ont éclos à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
De ce fait, certains historiens s’entendent pour classer le pays parmi
ceux ayant obtenu une indépendance dite « négociée » avec le colon.

Hubert Maga hérite d’une indépendance « négociée » avec le colon.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’il prend la tête du jeune Etat indépendant le 1er
août 1960, le premier président Hubert Maga hérite d’un pays à la vie
politique déjà très animée et en bons termes relatifs avec la France.
Hélas, le manque de ressources financières, que n’arrangera pas la
pauvreté du pays en ressources naturelles, rend difficile la
concrétisation d’un véritable programme de développement. Cette
situation crée un malaise social, des divisions entre nordistes et
sudistes se dessinant sur fond de pauvreté. Le 28 octobre 1963, le
colonel Christophe Soglo renverse le gouvernement civil : c’est le début
d’une longue période d’instabilité politique marquée par des coups
d’Etat successifs qui nuisent véritablement à l’économie du pays.
Entre
1963 et 1972, le Bénin connaît une série de cinq coups d’Etat, avec pas
moins de onze présidents, ce qui vaut à l’ancien « Quartier latin de l’Afrique » le surnom d’« enfant malade de l’Afrique ».
Entre 1963 et 1972, le Bénin connaît une série de
cinq coups d’Etat, avec pas moins de onze présidents, ce qui vaut à
l’ancien « Quartier latin de l’Afrique » le surnom d’« enfant malade de
l’Afrique ».
Cette
funeste série prend fin avec la prise de pouvoir du commandant Mathieu
Kérékou qui impose une dictature militaire à l’ombre idéologique du
Marxisme-Léninisme pendant 17 années, rebaptisant au passage
l’ex-Dahomey, République populaire du Bénin, le 30 novembre 1975. Ce
n’est qu’en 1990, avec l’ouverture d’une conférence nationale « souveraine »
que le jeune Etat entre pleinement dans le concert des nations
démocratiques, avec l’instauration d’une nouvelle constitution
consacrant, entre autres, le multipartisme, ainsi que les libertés
individuelles et collectives. Depuis, le pays connaît une alternance
pacifique au pouvoir, une stabilité politique et une paix qui lui
confèrent un statut de « modèle démocratique » africain, malgré de récents troubles ayant marqué les élections législatives de 2019.
Une économie secouée par des crises multiples
Alors
qu’il ne dispose que de maigres ressources naturelles, le Bénin a subi
au même titre que les autres pays plus nantis, des crises qui ont
façonné sa structure économique actuelle.
Dès
son accession au pouvoir en 1972, le président Mathieu Kérékou entame
un véritable programme de nationalisation aux forts relents communistes,
pour relever l’économie et vaincre la pauvreté. Pourtant, malgré une
tentative d’industrialisation marquée par la construction d’une
cimenterie à Onigbolo ou d’une sucrerie à Savè et renforcée par
l’exploitation d’un petit gisement pétrolier à Seme à partir de 1983, le
pays n’atteint pas la prospérité tant attendue.
Au
contraire, l’élan marxiste-léniniste pris par l’Etat crée une crise
économique sans précédent. Entre salaires impayés et hausses du coût de
la vie, les grèves et les manifestations se multiplient contre un
pouvoir militaire qui a déjà fait plusieurs prisonniers politiques et
entraîné de nombreux morts et exilés. A partir de 1988, le pays est mis
sous perfusion par le FMI, avec le lot de réformes que cela entraîne.
Entre salaires impayés et hausses du coût de la vie,
les grèves et les manifestations se multiplient contre un pouvoir
militaire qui a déjà fait plusieurs prisonniers politiques et entraîné
de nombreux morts et exilés.
Dans
les années 1990, le virage démocratique pris par le pays, avec
l’adoption d’une nouvelle constitution, lui attire les faveurs des
bailleurs de fonds internationaux. Allègements de dettes, prêts et
rallonges spéciales sont accordés au pays comme une véritable « prime à la démocratie ». Hélas, cela ne suffit pas pour faire véritablement décoller l’économie. Quelques années plus tard, le « séisme »
de la dévaluation du franc CFA, le 11 janvier 1994, contribue à créer
une nouvelle crise sociale, des millions de Béninois voyant leur pouvoir
d’achat baisser du jour au lendemain.
Cependant, le pays doit également ses difficultés à sa structure économique particulière, fortement dépendante du Nigeria.
Une économie largement informelle et dépendante du Nigeria
Depuis
son indépendance, le Bénin dont l’un des principaux atouts est son
potentiel agricole, a eu du mal à en faire le véritable levier de son
développement. Même si le secteur contribue pour plus de 30% du PIB et
75% des recettes d’exportation, il ne représente que 15% des recettes
publiques totales selon la FAO. En cause, une forte dépendance à l’égard
du secteur cotonnier et une agriculture essentiellement vivrière et peu
mécanisée qui ne servent pas les ambitions d’industrialisation du pays.

Une forte dépendance à l’égard du secteur cotonnier
S’il
n’a pas pu mettre à profit ce potentiel agricole dont il dispose, le
pays a par contre développé, au fil des ans, un statut de plaque
tournante du commerce sous-régional, principalement grâce à son port et à
sa proximité avec le géant nigérian.
S’il n’a pas pu mettre à profit ce potentiel agricole
dont il dispose, le pays a par contre développé, au fil des ans, un
statut de plaque tournante du commerce sous-régional, principalement
grâce à son port et à sa proximité avec le géant nigérian.
S’il
a d’abord joui de son statut de porte d’entrée vers la première
économie d’Afrique, c’est surtout les mesures protectionnistes d’Abuja
pour empêcher les marchandises de l’étranger d’inonder son marché via
son port qui ont favorisé une certaine spécialisation du Bénin dans la
réexportation « informelle » de produits vers son voisin.

« Lorsque le Nigeria éternue, c’est le Bénin qui s’enrhume ».
D’après
la Banque mondiale, le commerce informel entre le Bénin et le Nigeria
représente 20 % de son PIB, un chiffre qui selon plusieurs analystes est
d’ailleurs largement sous-estimé. Riz, véhicules d’occasion, produits
congelés…on estime que plus de 90% de la population active du Bénin
travaille dans l’informel. Selon la BAD, 51% des exportations du Bénin
sont destinées au marché nigérian.
D’après la Banque mondiale, le commerce informel
entre le Bénin et le Nigeria représente 20 % de son PIB, un chiffre qui
selon plusieurs analystes est d’ailleurs largement sous-estimé.
Au
fil des années, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à mener
de véritables actions fortes qui pourraient réduire un phénomène qui,
dans la réalité des faits, arrange un peu l’Etat béninois.
Malheureusement, ce modèle reste une source de fâcheuses conséquences
pour l’économie béninoise.
En
effet, le boom commercial né entre les deux pays, à partir des années
70, a fait dépendre l’économie béninoise de l’évolution de la
conjoncture économique au Nigeria. Depuis, les différentes crises
secouant le Nigeria ont toujours eu une incidence sur son partenaire
béninois qui non seulement exporte vers lui des produits officiellement
frappés d’interdiction, mais également importe illicitement des produits
pétroliers à bas coût pour satisfaire la demande locale. Cette
situation donnera naissance à l’adage selon lequel « lorsque le Nigeria éternue, c’est le Bénin qui s’enrhume ».

« Le modèle économique traditionnel ne peut plus survivre.»
En
2015, la crise économique nigériane entraînant la dévaluation du naira a
plongé le Bénin dans le marasme. Les données du FMI montrent que cette
année-là, la récession nigériane a entraîné une chute drastique de la
croissance économique du Bénin, de 6,3% en 2014 à 1,7%. Cependant, ces
crises sont également parfois dues à des décisions politiques, prises
pour la plupart par le Nigeria.
En
1983 déjà, la décision du grand voisin de fermer ses frontières
terrestres avec le Bénin avait fortement affecté la population
béninoise, et engendré une baisse des recettes douanières du pays. En
2003, dans le cadre de l’affaire Amani Tidjani Assani, un receleur qui
convoyait des véhicules volés entre le Bénin et le Nigeria, Abuja avait
également décidé de fermer sa frontière. Une décision qui avait fait
grimper le prix de l’essence de contrebande dite « kpayo », un carburant prisé par une grande partie de la population béninoise.
Enfin,
la plus récente manifestation de la dépendance du Bénin envers le
marché nigérian se remarque dans les conséquences de la dernière
fermeture unilatérale des frontières en date, celle du 20 août 2019.
Preuve de l’importance des exportations béninoises vers le Nigeria, la
mesure a fait baisser la croissance à 6,4% en 2019 (contre 6,7% en
2018). Certains analystes attribuent d’ailleurs la mitigation de cette
baisse à la persistance de la contrebande transfrontalière, malgré la
décision.
« Le
modèle économique traditionnel ne peut plus survivre. Tous les
économistes béninois sont d’accord : il faut en trouver un nouveau fondé
sur l’économie formelle », commentait pour un média français Paul Melly, journaliste-chercheur à l’institut Chatham House.
La révolution Talon
Depuis
2016, le pays est dirigé par le président Patrice Talon qui semble
avoir impulsé une nouvelle dynamique de développement, tant dans les
secteurs politique, économique, que social. Se basant sur un plan
d’action ambitieux qui devrait absorber un investissement de 15
milliards $ sur les cinq années de son mandat, le chef d’Etat a
multiplié les projets infrastructurels dans les secteurs routiers et
énergétiques, notamment.
Même
s’il n’a pas réussi à endiguer la dépendance de son pays par rapport au
Nigeria, l’ancien homme d’affaires a réussi à donner une nouvelle
dynamique au secteur agricole.
Même s’il n’a pas réussi à endiguer la dépendance de
son pays par rapport au Nigeria, l’ancien homme d’affaires a réussi à
donner une nouvelle dynamique au secteur agricole.
En
2018, le Bénin a pris la tête des pays producteurs de coton en Afrique
de l’Ouest, en réalisant un record de production de 678 000 tonnes.
Désormais, pour accélérer la diversification de son économie, le pays
mise sur sept pôles de développement agricole répartis dans tout le
pays, en investissant dans de nouvelles cultures telles que le maïs, le
riz, le soja, l’anacarde ou l’ananas.
D’après la BAD, la capacité de production d’électricité a augmenté de 67 % entre 2016 et 2019.
Sur
le plan macroéconomique, le pays affiche des performances de croissance
économique en constante progression (5,4% en moyenne depuis 2016).
Désormais le pays fait partie des dix pays affichant les croissances
économiques les plus rapides au monde. Grâce à son programme d’action du
gouvernement (PAG-Bénin Révélé), le président Patrice Talon multiplie
des investissements qui lui valent le satisfecit des principales
institutions multilatérales.
Désormais le pays fait partie des dix pays affichant
les croissances économiques les plus rapides au monde. Grâce à son
programme d’action du gouvernement, le président Patrice Talon multiplie
des investissements qui lui valent le satisfecit des principales
institutions multilatérales
Malheureusement,
cette croissance tant saluée par les institutions financières
multilatérales peine à remplir le panier des ménages. Selon de
nombreuses statistiques, les performances du Bénin dans le secteur
social sont encore loin d’être satisfaisantes. Si le taux de chômage ne
se chiffre qu’à 2%, le taux de sous-emploi lui atteint plus de 67,2%,
selon les chiffres de la BAD.
D’après la Banque mondiale, entre 2015 et 2020, le taux de pauvreté n’a que sensiblement diminué passant de 40,1% à 38,2%.

L’un des dix pays affichant les croissances économiques les plus rapides au monde.
Avec un indice de développement humain (IDH) catégorisé faible par l’ONU, le Bénin occupe la 163e place sur 189 pays, selon le classement de l’ONU en matière de développement humain (2019). « En
dépit d’une croissance économique stable et robuste depuis deux
décennies, la pauvreté reste répandue et s’explique par un faible niveau
du taux de croissance par habitant (en moyenne 1,5 % seulement sur la
période 2008–2018) », indique la Banque mondiale.
Ainsi
60 ans après les indépendances, les acquis du Bénin semblent être plus
démocratiques qu’économiques. Pourtant, là encore, de nombreux
observateurs accusent le président Patrice Talon de vouloir ramener le
pays à l’époque dictatoriale, en raison de ses méthodes de gouvernance
jugées autoritaires.
Quoi
qu’il en soit, les avis restent unanimes : si le pays a pu atteindre un
niveau important de maturité politique, il lui reste encore beaucoup de
chemin à parcourir, pour espérer un jour relever le défi du
développement.
Moutiou Adjibi Nourou
Par Agence Ecofin