Fortement endetté, le Cameroun se met au régime sec
Dans l’attente de la mise en œuvre du dernier programme
avec le FMI et de la nouvelle stratégie de
développement, toutes deux
différées par la crise du Covid-19, l’État n’a eu d’autre choix que
d’entamer une cure d’austérité drastique.
Le texte donne la mesure de l’impact de la pandémie de
Covid-19. Le 3 juin, le président Paul Biya a pris une ordonnance
modifiant le budget de 2020. La nouvelle enveloppe s’élève à
4 409 milliards de F CFA (6,7 milliards d’euros), en recul de
542 milliards de F CFA par rapport aux 4 951 milliards actés en décembre
2019.
Ce budget initial avait pourtant déjà été sous-évalué,
accusant une baisse de plus de 260 milliards de F CFA par rapport à
celui de 2019, dans l’attente de l’intégration de nouveaux appuis budgétaires à la suite de la signature annoncée d’un deuxième programme consécutif avec le Fonds monétaire international (FMI). Las !
La pandémie a rebattu les cartes. Le rendez-vous avec le FMI devra
attendre. Entre-temps, le pays a reçu 135 milliards de F CFA de
l’institution de Bretton Woods pour faire face à la crise. Il programme
une somme de 180 milliards de F CFA pour lutter contre le Covid-19 et
ses effets socio-économiques.
Le Gicam attend un nouveau cap de la part du gouvernement.
Ce climat d’incertitude repousse également à un horizon inconnu la
mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement 2020-2030, qui
n’a toujours pas été publiée.
Ce document doit synthétiser les prochains axes de développement qui
permettront au pays d’atteindre l’émergence en 2035 et, surtout, de
rattraper le retard accusé par les contre-performances du précédent
plan, le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE).
Un endettement de plus de 40 % du PIB
Ce programme doit également enclencher un nouveau régime de
croissance après le quasi-achèvement des infrastructures de première
génération. « Il y a encore trois, quatre ans, les grands travaux de
barrages, la construction des stades prévus pour la CAN, tiraient la
croissance. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On attend un nouveau cap
de la part du gouvernement », espère Vincent Kouete, directeur du
département économie du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam).
D’autant que cette politique a fait grimper l’endettement du pays en
quelques années (plus de 40 % du PIB). « Le plus inquiétant n’est pas le
volume global de la dette, mais la capacité du pays à rembourser le
service de la dette. Le Cameroun connaît de ce point de vue un risque
élevé », confirme le représentant local du FMI, Fabien Nsengiyumva.
Depuis 2015 et la chute brutale du prix du baril,
le pays affronte effectivement des vents contraires. Et la pandémie de
Covid-19 ne peut qu’aggraver la situation. « Non seulement les prix du
pétrole et des matières premières [cacao, bois…] chutent, mais les
volumes exportés vont aussi baisser. Sans compter le ralentissement de
secteurs comme l’hôtellerie. Enfin, on s’attend à des ruptures de stock
de produits finis et semi-finis en provenance de Chine », détaille
Fabien Nsengiyumva.
Avec une croissance de – 1,2 % pour 2020, le pays va plonger dans la récession
Initialement annoncée à 4,1 % pour 2020, la croissancenégative (– 1,2 %, selon les dernières estimations du FMI) plongera le pays dans la récession et ne permettra pas d’améliorer la vie des populations.
Sa performance est bien sûr limitée par les effets des crises
sécuritaires : dans le nord du pays en raison de la présence de Boko Haram et, surtout, dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, deux régions secouées par des affrontements sanglants entre les séparatistes ambazoniens et l’armée régulière.
Dans ces zones, les Camerounais sont en plus pénalisés par des taux
d’inflation bien supérieurs à la limite de 3 %, critère de convergence
imposé aux pays de la Cemac.
Si l’État a pu tenir ses engagements au cours des dernières années
(remboursement de sa dette, paiement des fonctionnaires, renflouement
des réserves de devises), il le doit en partie à l’appui de ses
partenaires extérieurs. À la fin de janvier, le FMI a validé un nouveau décaissement d’environ 76,1 millions de dollars
(près de 44 milliards de F CFA), portant à 590 millions de dollars le
total injecté par l’institution depuis la signature d’un accord triennal
en 2017.
Yaoundé félicité par le FMI pour sa discipline
« L’appui du FMI a été une bouffée d’oxygène pour le pays », reconnaît Vincent Kouete. En retour, le Cameroun s’est engagé à limiter ses dépenses,
à augmenter ses recettes fiscales, à payer ses arriérés et à limiter le
recours aux prêts non concessionnels. L’institution internationale a
d’ailleurs félicité Yaoundé pour sa discipline.
En début d’année, le gouvernement a annoncé le déblocage de
100 milliards de F CFA pour régler une partie de sa dette intérieure.
Les évaluations se poursuivent pour chiffrer le montant des arriérés que
l’État devra prendre en charge. Pour disposer d’une vision exhaustive
de ses engagements, celui-ci doit lancer des audits des principales
entreprises publiques : Camtel, Camwater, Camair-Co et le Port autonome de Douala.
Plus de 400 contrôles fiscaux ont été déclenchés sur les deux premiers mois de l’année, peste le patron d’un groupe local
Cette nouvelle approche budgétaire s’est naturellement traduite par
une plus forte pression sur les entreprises du secteur formel. « Plus de
400 contrôles fiscaux ont été déclenchés sur les deux premiers mois de l’année ! » peste le patron d’un groupe local.
Brasseurs, planteurs, cimentiers, forestiers ont accusé le coup, mais doivent également une fière chandelle à l’actuelle pandémie, qui, en provoquant des reports de charges, leur permet de respirer.
Au-delà des ajustements du régime général, l’État cherche à supprimer
les régimes dérogatoires. La méthode déplaît fortement aux
investisseurs habitués à obtenir de longues périodes d’exonération.
L’incendie de la Sonara a privé l’État d’un gros contributeur
À la fin de 2019, les autorités reconnaissaient paradoxalement une
baisse des recettes fiscales (– 2,2 %) sur les neuf premiers mois de
l’année, baisse liée aux difficultés conjoncturelles des opérateurs
économiques. « L’incendie de la Sonara, à la fin de mai 2019, a aussi privé l’État d’un gros contributeur », précise Fabien Nsengiyumva.
Reste que le redressement des comptes publics ne suffira pas pour
provoquer le choc de compétitivité attendu, estime le Gicam. « Le pays a
besoin d’une réforme foncière afin de développer son agriculture.
Actuellement, il valorise seulement 20 % de ses terres arables. Il faut
aussi augmenter la production d’énergie et régler les problèmes de
pertes sur le réseau de transport d’électricité », avance Vincent
Kouete.
C’est à ce prix que le pays pourra redonner du souffle à son secteur
industriel, dont la contribution à la richesse nationale (25,68 % du
PIB) a baissé de 13 % entre 2008 et 2018. Adopté il y a deux ans, son
plan directeur d’industrialisation tarde à tenir ses promesses.