On pourrait le croire abattu après les mauvais résultats des Insoumis aux municipales. "Un échec",
reconnaît-il. Mais Jean-Luc Mélenchon
semble aussi volubile qu'à l'accoutumé, devenant vite inarrêtable dès
qu'il s'agit du 14-Juillet et de la "défense nationale". Il semble aussi
prêt à remonter sur le cheval pour galoper vers la présidentielle de
2022. Même si pour une fois, on sent qu'il élude un peu la question.
"J'ai une décision à prendre et je la prendrai le moment venu."
Qu’attendez-vous du discours d’Emmanuel Macron ce 14 juillet?
Je
redoute un bavardage de plus. On doit en être à six ou sept
interventions du Président en deux mois. Du peu qui est annoncé, rien ne
se fait ou alors le contraire. Il a eu de grandes déclarations sur la
santé. Ce secteur devait être sorti du marché. Au lieu de ça, Macron a
nommé deux personnes dont le parcours symbolise l’inverse. Le Premier
ministre Jean Castex est l’ancien directeur de cabinet de Xavier
Bertrand qui a inventé le paiement à l’acte. Et Roselyne Bachelot a mis
sur pied le plan conduisant à gérer l’hôpital comme une entreprise
privée. Est-ce du mépris? Ou bien une forme d’obstination, typique des
gens hallucinés par leur idéologie qui n’admettent aucune contradiction,
même quand cette idéologie se fracasse sur la réalité. Macron est
complètement dépassé par la situation. Il croit que le marché va régler
les problèmes de la catastrophe économique. Son pari est qu’en mettant
des rustines au bon endroit le monde va reprendre comme avant. L’échec
est garanti.
Les militaires sont mis à l’honneur le 14-Juillet. Une juste reconnaissance?
C’est
une tradition séculaire. Une fois par an, nous saluons le dévouement de
gens qui offrent leur vie aux ordres de la France. Mais j’aimerais
qu’il y ait aussi, en plus, un beau défilé des métiers. Ce n’est pas à
l’État mais aux organisations populaires de l’organiser. Sur ce point
notre famille politique n’est pas à la hauteur de la situation. Quand
mon projet de fédération populaire aura éclos, nous devrions appeler à
ce défilé populaire du 14-Juillet. Une façon de dire que la lutte pour
l’égalité continue depuis 1789.
"La planification, c’est la clé du futur pour produire le peuple souverain de demain
"
Le 14-Juillet est le moment d’avoir une réflexion sur ce que doit être la défense nationale. Que prônez-vous dans ce domaine?
Interrogeons
notre conception de la défense nationale. La protection du territoire
est-elle garantie? Peut-on continuer avec une marine dont le déploiement
sur nos territoires maritimes correspond, en densité, à la présence de
deux voitures de police pour tout l’Hexagone? Quel est le caractère
opérationnel de la dissuasion nucléaire quand la cyberguerre et la
présence dans l’espace permettent de hacker les communications de
l’adversaire? C’est comme si à l’heure des fusils nous montions au front
munis d’arbalètes. Au XXIe siècle, il y a trois nouveaux territoires de
conflictualités : la mer, l’espace et le numérique. Les conditions de
la puissance ne sont plus les mêmes. La France doit être active dans ces
domaines. Nous en avons tous les moyens humains et techniques. Ce
serait un puissant ressort d’invention et d’enthousiasme collectif.
Vous allez bientôt présenter votre plan de "déconfinement économique". Surtout pour parler de souveraineté?
Oui.
Le 16 juillet, nous allons publier ce "plan de déconfinement économique
pour une bifurcation écologique". Nous voulons d’abord créer un comité
de planification pour penser et déployer le monde d’après. Nous parlons
de planification depuis longtemps, mais nous étions seuls. Jusqu’ici,
les belles personnes raillaient l’idée en nous renvoyant au Gosplan
soviétique. Ignorance et malveillance. Faut-il rappeler qu’en France, le
premier "commissariat général au plan" fonctionna sous la houlette de
Jean Monnet? Il fallait reconstruire la France après la Seconde Guerre
mondiale. Quant à de Gaulle, il parlait du plan comme d’une "ardente
obligation". Aujourd’hui, Macron parle de créer un "haut-commissaire à
la planification". Ce serait pour les Insoumis une formidable victoire
culturelle. Et surtout, ce serait une belle avancée pour la France.
Vous êtes donc un souverainiste?
Pas
de souveraineté du peuple sans souveraineté économique et
relocalisation des productions fondamentales. Pendant la crise
sanitaire, notre pays a été humilié : nous avons dépendu des Chinois
pour de simples masques en tissu, des tests et des molécules basiques de
la pharmacie. Encore une fois, la planification, c’est la clé du futur
pour produire le peuple souverain de demain. Sans planification, comment
faire la bifurcation pour arriver vite à 100 % d’énergie renouvelables?
Sans la planification, la France entrera en sous-développement. Le
plan, la souveraineté permettent la relocalisation de nos activités. Ce
sont trois talismans qui brillent en même temps. Après tant d’années de
refus obstiné et dogmatique, tournons enfin la page mythe libéral de la
main invisible du marché. Une fois ce Haut-Commissariat mis en place, la
dynamique sera lancée. Le jour où nous gouvernerons nous y impliquerons
les communes comme échelon de base du plan. Le Plan au XXIe siècle est
un outil de démocratie participative.
Vous avez fait l’impasse sur les municipales. Cette stratégie ne vous a-t-elle pas menés vous-mêmes dans une impasse politique?
Nous
n’avons pas fait l’impasse. Nous avons parié avec les listes citoyennes
sur une implication populaire qui n’a pas eu lieu. Le taux historique
d’abstention n’émeut guère la bonne société politico-médiatique. Elle se
contente de faire la morale au peuple parce qu’il ne vote plus. Mais
cela l’arrange. Pourtant c’est bien une scission politique de la société
que cette insurrection froide des absents.
"La vraie leçon de cette élection, c’est que la société est travaillée en profondeur par le dégagisme. Les analystes sérieux le voient
"
Mais reconnaissez-vous une erreur stratégique de votre part?
Non.
Nous avons subi un échec mais c’était le devoir des Insoumis d’essayer
d’impulser des listes citoyennes. La vraie leçon de cette élection,
c’est que la société est travaillée en profondeur par le dégagisme. Les
analystes sérieux le voient. Pour autant, dans combien de cas comme
Grenoble dès le premier tour, Lyon avec 10 % ou Marseille, la victoire
n’aurait pas été possible sans les Insoumis? Les gens le savent. Sans
les Insoumis, rien n’était possible face à la droite aux élections
municipales.
Depuis les municipales, la dynamique n’est-elle pas du côté d’Europe Écologie-Les Verts?
Les
milieux des centres-villes marquent une option pour l’écologie. C’est
une bonne nouvelle. Ces milieux ont trop souvent été prompts à se
rallier au libéralisme. Pour le reste, ce qui nous distingue d’EELV, ce
n’est pas l’écologie, mais la question sociale. J’ai hâte de commencer
la discussion de fond sur la planification, sur l’Europe des Régions ou
l’Europe des États. Et sur la rupture avec le capitalisme qui anime le
productivisme. Ce ne doit pas être une guerre des marques en vue de part
de marché électoral. C’est le débat sur la France. Nous irons au fond
des questions. Mais ne comptez pas sur moi pour jouer à creuser l’abîme
entre EELV et nous. Et si EELV et le PS veulent reconstituer la force de
centre gauche qui a disparu en 2017 je me dis que cela peut élargir le
front politique de l’alternative. Mais notre ligne d’action restera
d’agir pour une fédération populaire. Fédérer le peuple et ses exigences
c’est plus compliqué qu’un accord entre organisations politiques pour
prendre des places. La révolution citoyenne dont le pays a besoin est à
ce prix. Tout se joue dans le programme. Celui des Insoumis est connu :
c’est "l’avenir en commun". Il a réuni sept millions de voix en 2017. Il
n’est pas à prendre ou à laisser ; mais il ne peut être méprisé.
Travailler ensemble dès les régionales ou à la présidentielle?
Il
faut bien distinguer les élections. Aux régionales, comme aux
municipales, nos différences sont réduites aux champs de compétences
limités de ces collectivités. Il en va autrement de la présidentielle,
qui engage tous les aspects de la vie du pays. Aux régionales, comme aux
municipales, il peut y avoir des listes communes de premier tour avec
le centre gauche EELV-PS et la gauche PCF-NPA. Cela suppose qu’EELV-PS
ne s’arrogent pas la direction de tout en exigeant toutes les têtes de
liste et qu’il ne s’agisse pas d’une reconduction des sortants et de
leurs grands projets inutiles.
Pour la présidentielle une candidature commune est-elle possible?
L’important
est d’engager la société dans une nouvelle direction. Pour cela il faut
être clair sur les moyens proposés. La confusion sur l’Europe, la
Nation, le partage des richesses, les limites du capitalisme, la laïcité
de l’État, la République ne sera pas acceptée du grand nombre. Alors,
de grâce, épargnons-nous la comédie de la danse du scalp autour du totem
de l’unité. Tout le monde sait que nos désaccords engagent le futur de
notre pays. Les ruses puériles et les arrangements d’arrière-cuisine
n’ont pas leur place à ce moment de l’histoire. Un autre cas est celui
de nos relations avec le PCF. Nous faisons équipe depuis deux
présidentielles. Nous proposons de nous mettre d’accord sur les quatre
élections à venir. Celles de 2021 : les départementales et les
régionales. Celles de 2022 : la présidentielle et les législatives qui
suivront.
Yannick Jadot dit "se préparer à la présidentielle". Trouvez-vous qu’il en a besoin? Et vous, vous préparez-vous aussi?
Ne tournons pas autour du pot. J’ai une décision à prendre et je la prendrai le moment venu.