Moscou dément l'accusation américaine, appelant l'objet un "instrument spécial" d'inspection
spatiale.
Les Etats-Unis ont accusé jeudi la Russie d'avoir testé une arme
anti-satellite lancée depuis l'espace, mais Moscou dément, appelant
l'objet un "instrument spécial" d'inspection spatiale. Quoi qu'il en
soit, la manoeuvre signifie pour Washington une rare escalade militaire
dans l'espace.
La capacité d'un satellite à en attaquer un autre était jusqu'à
présent théorique. Seules des frappes depuis le sol avaient été
démontrées par les Etats-Unis,
la Russie, la Chine en 2007 et l'Inde en 2019, mais ces explosions
créent des milliers de débris et les grandes puissances s'abstiennent de
renouveler ces essais.
L'incident russe pourrait être un message à
Washington, en train de mettre en place la nouvelle Force de l'espace,
décidée par Donald Trump dans un but affiché de domination. Son patron,
le général Jay Raymond, a répété son credo vendredi: "L'espace est un
théâtre de guerre comme l'air, la terre et la mer".
"Objet E"
En novembre 2019, la Russie
a lancé un satellite, baptisé Cosmos 2542. Surprise, la semaine
suivante, ce satellite a libéré un sous-satellite, Cosmos 2543, capable
de manoeuvrer en orbite pour observer, inspecter ou espionner d'autres
satellites.
Ce sous-satellite s'est rapproché d'un satellite
espion américain (USA-245), et d'un autre satellite russe, un jeu de
chat et de souris en orbite facilement observable depuis le sol par les
astronomes et par l'armée américaine, qui s'en est publiquement alarmée.
Le
15 juillet vers 9h50, Cosmos 2543 (le sous-satellite, qui fait moins
d'un mètre carré de surface, selon les militaires américains), a libéré
un objet à une vitesse relative élevée, de l'ordre de 200 mètres par
seconde, estime l'astronome Jonathan McDowell. Baptisé "objet E" par les
Américains, il est aujourd'hui encore en orbite et ne semble rien avoir
heurté (en 2017, le même scénario s'était produit avec un autre
appareil russe). On ignore sa taille, sa forme et sa nature, mais cela
ne change rien à sa dangerosité.
Une "balle"
En
orbite, les satellites filent dans le vide à des dizaines de milliers
de kilomètres par heure, et le moindre choc entre un satellite et un
objet peut percer un panneau solaire ou endommager ou détruire tout
l'engin, selon la taille de l'objet.
Dans l'espace, la différence
entre satellite et arme est donc théorique: quelle que soit sa
fonction, l'objet E est de facto un "projectile" et donc une "arme",
disent les Américains. C'est l'équivalent d'une "balle" dans l'espace, a
dit vendredi Christopher Ford, du département d'Etat. "Là-haut, il n'y a
jamais de petit accrochage".
Moscou, d'ailleurs, l'a
implicitement reconnu en accusant Washington et Londres d'avoir des
programmes de satellites d'inspection ou de réparation pouvant être
détournés pour devenir des "armes anti-satellites".
Les Etats-Unis
ont effectivement des satellites militaires manoeuvrables en orbite, et
qui peuvent libérer de plus petits satellites. En 2018, la France
s'était plainte qu'un satellite russe se soit rapproché d'un de ses
satellites militaires pour l'espionner (pour par exemple voir les
technologies à bord), mais un satellite américain avait approché ce même
satellite russe quelques jours auparavant.
On ignore si les
Américains ont la capacité d'envoyer des projectiles à haute vitesse
comme les Russes viennent de le faire, dit Brian Weeden, spécialiste de
sécurité spatiale à la Secure World Foundation, à Washington. "Mais ils
pourraient sans doute le faire, s'ils le voulaient".
Les Américains très dépendants de l'espace
"Les
Russes pourraient vouloir envoyer un message stratégique sur la
vulnérabilité des systèmes américains", poursuit Brian Weeden. Les
satellites espions sont énormes, extrêmement coûteux et peu nombreux,
dit-il. "La Russie ne dépend pas autant de ses satellites que les
Etats-Unis, et les satellites russes sont loin d'être aussi chers",
ajoute l'expert.
C'est ce qu'a redit le patron de la Space Force
vendredi : depuis la guerre du Golfe, tout dans l'armée américaine, des
avions aux fantassins, dépend de l'espace, pour la navigation, les
communications, le renseignement. "Tout ce que nous faisons (...)
intègre l'espace à chaque étape", a dit le général Raymond.
Américains
et Russes auront l'occasion d'en parler directement, la semaine
prochaine à Vienne, pour leur première réunion sur la sécurité spatiale
depuis 2013.
Par lexpress.fr