
L’histoire
regorge de présidents passés d’idéaux nobles à une application
dictatoriale de leur
vision. Dans le cas de Mathieu Kérékou, c’est
plutôt l’inverse. C’est sous sa direction que le Bénin est passé d’un
pouvoir militaire à la démocratie, alors qu’à l’origine, celui que la
postérité retient sous le surnom de Caméléon est l’un des principaux
acteurs de la période trouble du pays. Son volte face idéologique a
métamorphosé un pays qui le considère aujourd’hui comme l’une des
personnalités les plus importantes de son histoire.
Alors que le 1er
août, date de l’accession du pays à l’indépendance, se profile, comme
souvent, au Bénin, un pays tout entier pense à son histoire. Premier
pays d’Afrique francophone à avoir adopté la démocratie, la nation aura
également une forte pensée pour l’homme ayant conduit sa transition : le
président Mathieu Kérékou. Véritable terreur pour une partie du peuple,
pendant presque deux décennies, l’homme a su se métamorphoser au moment
où son pays en avait le plus besoin, pour le mettre sur un chemin qu’il
tente de suivre depuis plusieurs années.

Cela
n’absout certainement pas l’ancien putschiste, d’actes qui continuent
d’entacher son image jusqu’à ce jour. Malgré tout, au Bénin, au moment
où les drapeaux toucheront les sommets des mâts pour célébrer
l’accession à l’indépendance, beaucoup rendront certainement hommage à
celui qui demeure, à ce jour, la figure politique la plus emblématique
de l’histoire du pays.
Le général rouge
L’histoire
de Mathieu Kérékou commence en 1933, année durant laquelle il nait à
Kouarfa, dans une modeste famille d’agriculteurs du nord-ouest du Bénin,
à l’époque Dahomey. Ses premières années sont plutôt classiques pour un
enfant de cette région, jusqu’à ses 14 ans. C’est à ce moment qu’il
rejoint l’Ecole des enfants de troupe pour apprendre le maniement des
armes et recevoir une formation militaire des officiers coloniaux
français. Cette dernière le conduit au Mali, au Sénégal puis en France.
Il y rallie la commune de Fréjus, où se trouvait un camp d’infanterie de
la marine française. Il part ensuite pour Saint-Maixent. A son retour,
sa formation lui permet de gravir rapidement les échelons au sein de
l’armée béninoise.

En
1960, au moment de l’accession de son pays à l’indépendance, Mathieu
Kérékou est sous-lieutenant, puis aide de camp d’Hubert Maga, premier
président de l’histoire du pays. L’éviction, de ce dernier, en 1963,
marque le début d'une série de coups d'Etat qui font du pays une des
nations les plus instables du continent africain. Certains médias
surnomment même le pays « l’enfant malade de l’Afrique ». En mai 1970,
le pouvoir est assuré par un conseil présidentiel dont les trois
membres, les anciens présidents Hubert Maga, Justin Ahomadegbé et Sourou
Migan Apithy, assurent la présidence à tour de rôle.
La
situation du pays finit par exaspérer les militaires et notamment le
commandant Mathieu Kérékou. En 1972, avec d’autres officiers, il
participe à un putsch qui le porte à la présidence du pays.
La situation du pays finit par exaspérer les
militaires et notamment le commandant Mathieu Kérékou. En 1972, avec
d’autres officiers, il participe à un putsch qui le porte à la
présidence du pays.
Dès sa prise de pouvoir, il prononce une phrase qui passera à la postérité. « La branche ne se cassera pas dans la main du Caméléon ».
Laissant entendre que le pays ne se briserait jamais entre ses mains,
le tout nouveau chef d’Etat va pourtant installer un régime dirigé d’une
main de fer.

Après
plusieurs mois de transition, il choisit de mettre le pays sous
pavillon communiste et impose le marxisme-léninisme comme idéologie
officielle de l’Etat. En 1975, le gouvernement nationalise les grandes
entreprises et rebaptise le pays République populaire du Bénin.
Après plusieurs mois de transition, il choisit de
mettre le pays sous pavillon communiste et impose le marxisme-léninisme
comme idéologie officielle de l’Etat. En 1975, le gouvernement
nationalise les grandes entreprises et rebaptise le pays République
populaire du Bénin.
En
1977, une tentative de coup d’Etat perpétrée avec l’aide du mercenaire
français Bob Denard n’arrive pas à déloger Mathieu Kérékou du fauteuil
présidentiel. Le caméléon est de plus en plus décrié par le peuple qui
se met à scander dans la rue des appels à la lutte contre le régime « laxiste béniniste ».
Le régime de Mathieu Kérékou va alors réprimer violemment le mouvement
de contestation. La police politique sème la terreur et torture les
membres de l’opposition dans la célèbre prison de Ségbana, située dans
le nord du pays.
Le régime de Mathieu Kérékou va alors réprimer
violemment le mouvement de contestation. La police politique sème la
terreur et torture les membres de l’opposition dans la célèbre prison de
Ségbana, située dans le nord du pays.
Le
cycle « désapprobation-répression » se poursuit pendant des années. En
1987, Amnesty International recense une centaine de prisonniers
politiques et de nombreuses exactions. A ce moment de l’histoire,
Mathieu Kérékou, promu entre-temps au grade de général, est loin d’avoir
l’image qu’il conserve aujourd’hui et l’importance qui lui est conférée
dans l’histoire du Bénin.
Le changement de couleur du caméléon
L’interrogation
sur ce qui provoque le changement total du président Mathieu Kérékou
tourmente, jusqu’à ce jour, de nombreux observateurs de l’histoire
politique du Bénin. Au final, de nombreuses hypothèses ont été émises
pour expliquer ce qu’on peut appeler le revirement des années 90 du
Caméléon. Pour certains, la motivation est essentiellement économique.
En effet, le pays traverse une crise économique importante. Malgré la
mise en place de programmes de développement, le régime communiste
échoue sur le plan économique. La corruption et le népotisme forcent le
gouvernement communiste à courber l’échine devant le FMI. L’organisation
aurait obtenu du président les changements politiques qui ont suivi.
Pour
d’autres, en bon analyste politique, Mathieu Kérékou aurait senti le
vent tourner avec la chute du mur de Berlin et compris que le régime
devait évoluer pour survivre.

Certains
avancent plutôt que ce sont les troublantes images de la chute et de
l’exécution en Roumanie du « dictateur rouge » Nicolae Ceausescu, qui
auraient ému le président, craignant de connaître un futur similaire.
Certains avancent plutôt que ce sont les troublantes
images de la chute et de l’exécution en Roumanie du « dictateur rouge »
Nicolae Ceausescu, qui auraient ému le président, craignant de connaître
un futur similaire.
Quoi
qu’il en soit, Mathieu Kérékou commence, à partir de 1988, année durant
laquelle le pays est placé sous la tutelle du FMI, à mettre en œuvre
des changements dans sa gestion du pays en instaurant notamment le
multipartisme. En 1989, il convoque une Conférence des forces vives de
la nation, destinée à établir de nouvelles institutions. A la fin de
cette dernière, il accepte que les décisions de la conférence s’imposent
à lui. « J’ai honte de moi », confesse-t-il à la conférence.
A la fin de cette dernière, il accepte que les
décisions de la conférence s’imposent à lui. « J’ai honte de moi »,
confesse-t-il à la conférence.
Après
18 années de dictature, il accepte la création d'un poste de Premier
ministre. La référence communiste « populaire » disparait de la
dénomination du pays qui devient la République du Bénin. L’âge des
candidats à l'élection présidentielle est limité à 70 ans. Des élections
sont programmées pour l’année suivante. Elles seront remportées par
Nicéphore Soglo. Alors que tout le monde craint de voir le général
Mathieu Kérékou balayer d’un revers de la main les conclusions de la
conférence et les résultats des élections, ce dernier s’y plie et quitte
le pouvoir. Sa décision est acclamée par le peuple.

Exit
le général rouge, le Caméléon vient de changer de couleur. Le peuple ne
l’oubliera d’ailleurs pas lors des élections qui auront lieu 5 années
plus tard. En 1996, Mathieu Kérékou se présente comme un homme qui ne
s’est pas enrichi pendant ses dix-huit années de pouvoir. Il affiche une
ouverture contrastant avec ses années de présidence dictatoriale. Il
sera élu, puis réélu en 2001 pour son dernier mandat de 5 ans.
Durant cette période, il montre un visage d’homme d’Etat à l’écoute de tous les camps en « bon père de famille »,
comme il est décrit plus tard par plusieurs personnalités politiques.
Ne s’offusquant pas des attaques de la presse et ne répondant plus aux
critiques, l’ancien putschiste devient le meilleur joueur de l’échiquier
politique que son attitude participe à conserver. Sous sa présidence,
le Bénin devient le premier pays africain en matière de liberté de la
presse.
A
quelques mois de son départ en 2006, des rumeurs font état d’une envie
du président de modifier la constitution pour rester au pouvoir.
Finalement, il n’en sera rien. Mathieu Kérékou n’a définitivement plus
rien du dictateur communiste de la période des années 80. Il quitte le
pouvoir en paix avec toutes les formations politiques et bénéficiera
pendant plusieurs années d’un statut de sage au Bénin, ainsi que dans la
sous-région. Il décède à l’âge de 82 ans. Des hommages fusent du monde
entier pour saluer son héritage démocratique, mais aussi son changement
de cap des années 90. Au Bénin, il est considéré, jusqu’à ce jour, comme
la personnalité politique la plus emblématique du pays.
Servan Ahougnon
Par Agence Ecofin