
Guillaume Soro, exclu de la liste pour le scrutin présidentiel du 31
octobre en Côte d'Ivoire, en
appelle à Emmanuel Macron afin qu'il
prenne position contre Alassane Ouattara, le président sortant qui
brigue un troisième mandat alors que la constitution ivoirienne limite à
deux le nombre de mandats.
L'ancien Premier ministre de la Côte
d'Ivoire Guillaume Soro, dans une lettre ouverte que publie le JDD, en
appelle à Emmanuel Macron avant la tenue d'un scrutin présidentiel tendu
dans son pays. Exclu de la liste pour le scrutin présidentiel
d'octobre, il s'était déjà insurgé, le 9 août dans nos colonnes, contre
la candidature du président sortant, Alassane Ouattara. "J'ai la
dictature contre moi mais le droit avec moi", déclarait-il. La Côte
d'Ivoire "est prise dans un tourbillon qui fait valser les libertés
fondamentales et démantèle l'État de droit", s'alarme-t-il
aujourd'hui. Voici sa lettre ouverte au président français :
Lettre ouverte au président de la République française, au représentant de la patrie des droits de l'homme et des citoyens
Monsieur le président de la République,
Monsieur le président de la République,
Permettez-moi de vous écrire, comme tout homme épris de liberté sait
pouvoir le faire, quel que soit son nom ou son origine. Permettez-moi
de m'adresser au représentant d'une Nation qui a placé la grandeur au
cœur de son Histoire et dont la Lumière éclaire le monde depuis si
longtemps. Permettez-moi de vous parler au nom de tous ceux qui croient
que la démocratie est le seul avenir possible pour le continent
africain, comme pour tous les autres, et qui n'hésitent plus à
pourfendre les crimes commis contre la juste expression d'un suffrage
populaire.
Je suis le petit-fils de Sekongo Kadioyaha, ancien des
troupes coloniales ayant fièrement servi comme tirailleur, au cours de
la Deuxième guerre mondiale, pour vaincre les nazis. Je suis le neveu
de Yéo Nanienehorona Adama, mobilisé lors de cette même guerre et
qui, ayant participé à toutes les campagnes militaires françaises,
fut décoré de la Légion d'honneur des mains du président Jacques
Chirac. Ils se sont battus avec dignité et honneur pour la France, ce
grand pays de la liberté et des droits de l'Homme : ils étaient si
fiers d'avoir pris part à ce combat contre des forces farouchement
opposées à la démocratie. Ils ont tant marqué mon enfance, ma
jeunesse et ils m'ont tant inspiré par leur expérience et par leur
sagesse.
La Constitution, socle de notre édifice républicain, est en train d'être démolie
Dans mes mots, ils sont toujours présents, et c'est aussi en leur nom que je m'adresse à vous aujourd'hui, Monsieur le président. Avec humilité et avec gravité. Avec simplicité, aussi. Je veux vous parler de la Côte d'Ivoire, un pays que j'aime par-dessus tout et que j'ai eu l'honneur de servir comme Premier ministre et comme président de l'Assemblée nationale.
Dans mes mots, ils sont toujours présents, et c'est aussi en leur nom que je m'adresse à vous aujourd'hui, Monsieur le président. Avec humilité et avec gravité. Avec simplicité, aussi. Je veux vous parler de la Côte d'Ivoire, un pays que j'aime par-dessus tout et que j'ai eu l'honneur de servir comme Premier ministre et comme président de l'Assemblée nationale.
Le pays est pris dans un tourbillon qui
fait valser les libertés fondamentales et démantèle l'État de droit
et met à mal une démocratie que beaucoup prenaient en exemple. La
Constitution, socle de notre édifice républicain, est en train d'être
démolie. Aucune femme, aucun homme de bonne volonté, aucun démocrate
au monde ne saurait se résigner face à ce crime commis sous nos yeux
contre l'un des pays les plus importants et les plus stables d'Afrique.
Et que dire de ces milices du pouvoir qui attaquent désormais les
manifestants pacifiques à coups de de gourdins et de machettes sous les
yeux complices de la police, que dire de ces femmes humiliées et
violentées, que dire des manifestations désormais interdites, que dire
de toutes ces exactions largement dénoncées par Amnesty International
et par tant d'autres ONG?
Vous vous êtes rendu récemment en Côte d'Ivoire mais êtes-vous vraiment informé de ce qui est en train de se jouer?
Le 22 décembre 2019, jour de votre anniversaire, par un hasard du
calendrier, vous vous trouviez en visite officielle à Adidjan et le
gratin du pouvoir ivoirien, en bout de course, profitait de cette
aubaine pour se réunir autour de vous, en vous aidant, dans un étrange
symbole, à souffler sur le gâteau. Le vice-président de la
République avait endossé la posture du maitre de chœur pour entonner
un « Joyeux anniversaire », repris à l'unisson par tous les membres du
gouvernement présents à ses côtés. Dépitée, l'opinion ivoirienne
trouva également de bien mauvais goût le dandinement pathétique d'un
président de 75 ans sur une piste de danse, tentant de vous amadouer en
cette circonstance qu'il pensait propice, alors que la situation
sociale du pays est si préoccupante.
Nous sommes des millions et des millions. Nous avons tendu l'oreille. Nous n'avons entendu que le silence de la France.
Horrifiés, les Ivoiriens assistèrent, quelques heures à peine après votre départ du pays, à une vague de répression inédite et brutale contre l'opposition, visant plus particulièrement les militants et les dirigeants du mouvement Générations et Peuples Solidaires (qui compte plusieurs millions de membres), qui se trouvèrent battus et emprisonnés arbitrairement. Moi-même, président de ce Mouvement, j'étais traqué et interdit de séjour en Côte d'Ivoire, mon pays, sous un prétexte fallacieux et reconnu comme tel (à l'unanimité des juges) par la Cour africaine des droits de l'Homme .
Horrifiés, les Ivoiriens assistèrent, quelques heures à peine après votre départ du pays, à une vague de répression inédite et brutale contre l'opposition, visant plus particulièrement les militants et les dirigeants du mouvement Générations et Peuples Solidaires (qui compte plusieurs millions de membres), qui se trouvèrent battus et emprisonnés arbitrairement. Moi-même, président de ce Mouvement, j'étais traqué et interdit de séjour en Côte d'Ivoire, mon pays, sous un prétexte fallacieux et reconnu comme tel (à l'unanimité des juges) par la Cour africaine des droits de l'Homme .
Nous sommes
des millions et des millions. Nous avons tendu l'oreille. Nous n'avons
entendu que le silence de la France, chère patrie des droits de
l'Homme. Un silence assourdissant.
Quand le Chef de l'État
ivoirien sortant, M. Ouattara, sous pression, fit une annonce
tonitruante indiquant qu'il ne briguerait pas un troisième mandat,
comme si ce retrait faisait de lui un grand démocrate (alors que ce
nouveau mandat le conduirait tout simplement à violer la
Constitution!), vous avez cru devoir le féliciter en le qualifiant
"d'homme de parole et d'homme d'État", en saluant "sa décision
historique". Monsieur le président de la République, j'imagine que
vous êtes informé du revirement de M. Ouattara qui, le 6 août
dernier, a annoncé qu'il briguerait finalement ce troisième mandat
usurpatoire, en violation de la Constitution et en violation du serment
qu'il avait fait devant la Nation. Monsieur le président de la
République, puisque, en vous exprimant une première fois, vous êtes
désormais partie-prenante dans le débat politique ivoirien, votre
silence face à la forfaiture qui se dessine serait incompréhensible et
totalement incompris. Pire, aux yeux de beaucoup, il vaudrait
complicité. Et ce n'est pas seulement la Côte d'Ivoire qui se
trouverait bafouée, mais l'Afrique tout entière, celle dont la
jeunesse a plus que jamais soif de démocratie et aspire à ce
changement que vous avez si bien su incarner en France!
Votre
réaction, Monsieur le président de la République, déterminera une
partie du regard que la jeune génération d'Africains portera sur la
France et les valeurs dont elle se réclame. La patrie de Voltaire, de
Hugo, de Schœlcher, de Clemenceau, de Jaurès, de Mendès-France, du
général de Gaulle, et de tant d'autres, est-elle toujours du côté de
la démocratie et de la liberté?
La France ne peut pas aller dans le sens de ceux qui piétinent les libertés fondamentales d'un pays
Je ne demande rien pour moi-même : seulement des élections honnêtes
et justes dans lesquelles chaque candidat pourra se présenter
librement, pour que le peuple puisse voter librement. En Côte d'Ivoire,
après 60 ans d'Indépendance, la population n'acceptera pas
l'émergence d'un pouvoir usé qui cherche à se maintenir à tout prix
à la tête de l'Etat, en écartant arbitrairement du jeu démocratique
tous ceux qui, constitutionnellement, sont en droit de solliciter le
suffrage populaire. Monsieur
Ouattara, le seul qui n'y est pas
autorisé par la Constitution, pourrait donc se faire adouber à travers
une pseudo-élection d'un autre âge? Qui pourrait accepter cela?
L'Afrique croit en la France en tant qu'elle est le pays de la
démocratie et des libertés, aujourd'hui comme hier. Votre parole est
forte. Elle est attendue, en Côte d'Ivoire et bien au-delà de la Côte
d'Ivoire. La France ne peut pas aller dans le sens de ceux qui
piétinent les libertés fondamentales d'un pays : c'est ma conviction
absolue et c'est aussi l'espoir de millions de femmes et d'hommes qui
croient en la démocratie.
Dans cette attente, recevez ma très respectueuse considération.
Guillaume Kigbafori Soro
Député
Président de Générations et peuples Solidaires
Ancien Premier ministre de Côte d'Ivoire