
En 2020, près
d’un quart du budget de la Commission de développement du Delta du
Niger, chargé
d’investir une partie des bénéfices de la production,
aurait été détourné.
Des enquêteurs pistent des millions
d’euros disparus des caisses de l’organisme fédéral nigérian chargé du
développement de la région pétrolifère du Delta du Niger et accusé
d’être depuis longtemps, à l’instar de l’opaque secteur pétrolier du
pays, rongé par la corruption et la gabegie. Chaque année, les
entreprises pétrolières internationales doivent verser 3 % de leur
budget annuel d’investissement à la Commission de développement du Delta
du Niger (NDDC), qui bénéficie aussi d’une contribution de l’Etat
fédéral.
Au total ce sont
des centaines de millions d’euros qui entrent dans les caisses de la
NDDC, destinés à financer des projets de développement ou des bourses
d’études pour les neuf Etats nigérians du Delta.
Mais
une enquête parlementaire a récemment révélé que seule une infime
partie des quelque 12 000 projets lancés par la NDDC depuis sa création
en 2000, avait été menée à bien. Pour la seule année 2020, 81 milliards
de nairas (180 millions d’euros), soit environ un quart de son budget,
auraient été détournés des caisses de la NDDC par des responsables ou
des contractants. Une partie des sommes est supposée avoir financé
notamment des billets d’avion et des sessions de formation, au moment
même où l’espace aérien du pays était fermé en raison de la crise liée
au nouveau coronavirus.
Projets fantômes
Le
gouvernement nigérian a chargé, fin août, le cabinet Ernst & Young
des vérifications des comptes de la Commission de 2001 à 2019, ordonnées
en octobre 2019 par le président nigérian Muhammadu Buhari. « Nous
allons savoir quelle somme d’argent a réellement été investie dans la
région ces dix-neuf dernières années et si ce que nous avons reçu
jusqu’à présent correspond bien à l’argent injecté dans la NDDC », a
expliqué le ministre chargé du Delta du Niger au sein du gouvernement
fédéral, Godswill Akpabio, lui-même visé par une enquête parlementaire
ouverte parallèlement sur l’actuelle gestion de la NDDC.
En
juillet, le directeur général de la NDDC, Daniel Pondei, s’était
évanoui lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire.
Bien
que ses immenses réserves de pétrole et de gaz en fassent le pourvoyeur
de la principale source de richesse du Nigeria, la région du Delta du
Niger demeure pauvre et sous-développée.
Misère
et pollution due à l’exploitation pétrolière ont fait émerger des
groupes armés dans la région au début des années 2000 : violences,
sabotages d’infrastructures, enlèvements, attaques de compagnies
pétrolières avaient fait baisser d’un tiers la production de pétrole,
affectant les revenus de l’Etat. Premier producteur et exportateur de
pétrole en Afrique, le Nigeria en tire la grande majorité de ses
recettes budgétaires et plus de 90 % de ses ressources en devises.
Pourtant,
dans le Sud de l’Etat de Bayelsa, le paysage est jalonné de projets
avortés de la NDDC : les travaux de construction d’une digue, débutés
en 2010, n’ont jamais abouti ; des chantiers routiers vers des
communautés isolées sont à l’abandon ; quant au projet de route de 8 km
vers Ogbia, circonscription de l’ex-président Goodluck Jonathan, dont
l’appel d’offres avait été remporté en 2013 par le cousin de l’ancien
chef de l’Etat, il n’a jamais vu le jour.
Les
chefs communautaires se plaignent de ce que les entrepreneurs, souvent
originaires de la région, abandonnent les chantiers dès qu’ils ont perçu
les sommes faramineuses de la NDDC. « Je ne vois aucun projet de la NDDC mené à terme dans cette communauté, même si un grand nombre d’entre eux a été lancé ici »,
explique à l’AFP l’un d’eux, Duateki Oriango-Oruwari, en partageant la
frustration des habitants des berges du fleuve Niger qui « subissent au quotidien l’érosion côtière ». Pour un autre, Alex Ekiyor, le « plus
déprimant, c’est de savoir que lorsqu’un marché public est attribué à
un enfant de la région, celui-ci ne pense qu’à son intérêt personnel ».
« Les yeux sur la caisse »
Certains
contractants affirment que si les chantiers sont abandonnés c’est
qu’ils n’ont pas été payés par la NDDC. Azibaola Robert, le cousin de
l’ex-président Jonathan, affirme que la NDDC lui doit toujours plus de
1,25 million d’euros et promet que « quand cet argent sera versé, nous reprendrons le chantier et le projet sera mené à terme ». L’entrepreneur accuse aussi certaines populations locales d’entraver les travaux : « Les
habitants d’une communauté locale ont saisi nos machines alors que nous
draguions le sable d’une rivière et nous ont demandé de les employer ou
de leur verser de l’argent », relate-t-il.
Pour
que l’enquête sur la NDDC ait un sens, les observateurs du secteur
estiment que les autorités doivent cesser les nominations basées sur le
copinage au sein de la Commission.
Ceux qui sont promus « voient leur nomination comme un dédommagement et non comme un appel à servir » et « prennent leurs fonctions les yeux sur la caisse », écrivait récemment Shaka Momodu dans le quotidien indépendant This Day.
Cet
éditorialiste soutient que les compagnies pétrolières qui financent la
NDDC doivent siéger à son conseil d’administration et trouve « déconcertant » qu’elles « continuent de regarder ailleurs, malgré tout ce pillage et cette corruption ».