
Toujours entre les mains du Rwanda Investigation Bureau,
dans l’attente d’être présenté à la justice,
l’ancien directeur de
l’Hôtel des Mille collines a été transféré de Dubaï vers Kigali dans des
conditions encore obscures. Le mandat d’arrêt international qui le
visait, consulté par JA, expose une longue liste de griefs liés au
terrorisme.
La liste est interminable, et les griefs sont lourds.
Suffisamment pour anticiper dès à présent qu’au terme du processus
judiciaire qui le vise au Rwanda, Paul Rusesabagina s’exposera à une
condamnation exemplaire. Depuis le 31 août, l’opposant en exil est en garde à vue à Kigali,
dans l’attente de comparaître devant un magistrat. Rendue publique sur
Twitter par le Rwanda Investigation Bureau, son arrestation a surpris
tout le monde, aussi bien les proches que les détracteurs de celui
qu’Hollywood avait rendu célèbre en 2004 à travers le film Hôtel Rwanda, de Terry George, retraçant le rôle de sauveur qui lui est prêté – abusivement selon de nombreux Rwandais – lors du génocide contre les Tutsi, en 1994.
Jeune Afrique a pu consulter le mandat d’arrêt
international émis le 9 novembre 2018 par Jean Bosco Mutangana, alors
procureur général du Rwanda, contre Paul Rusesabagina. Dans ce document
de 14 pages, spécifiquement adressé à la Belgique, le haut magistrat
égrène une longue liste d’accusations contre le Rwandais de 66 ans, qui
dispose de la double nationalité belge.
Outre la « constitution d’un groupe armé illégal », le document
recense pas moins de six chefs d’accusation liés au terrorisme et
contrevenant aux lois rwandaises. Paul Rusesabagina était également
recherché par la justice pour « meurtre », « vol à main armée »,
« incitation à l’insurrection », « incendie criminel »…
Opposant farouche
Un retour au pays inattendu pour celui qui, en 1994, au moment où le
génocide contre les Tutsi débutait, a supervisé la gestion de l’Hôtel des Mille Collines,
au centre-ville de Kigali, où près de 1 300 réfugiés avaient trouvé
refuge. Bénéficiant d’une maigre protection des casques bleus de la
Minuar (Missions des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), de
l’appui intéressé de Bruxelles et Paris – l’hôtel était la propriété de
la Sabena et la France avait installé une station d’écoute dans les
étages -, négociant quotidiennement avec les officiers de l’armée
rwandaise (en particulier leur chef d’état-major, Augustin Bizimungu),
Paul Rusesabagina était parvenu à traverser indemne le génocide, ainsi
que la plupart des pensionnaires de l’hôtel.
En 2004, inspiré par ce parcours héroïque, Terry Jones en tire un
film, dans lequel Don Cheadle interprète le rôle de Paul Rusesabagina et
Sophie Okonedo celui de son épouse, Tatiana. Mais avant même la
première projection officielle du film au stade Amahoro, à Kigali, Paul
Rusesabagina fait connaître publiquement ses critiques contre le régime.
Dans les tribunes, son siège reste vide.
Au cours des années suivantes, Rusesabagina franchit une à une les
étapes vers une opposition résolue au président Paul Kagame. Au point
d’assumer à plusieurs reprises, devant les caméras, l’option de la lutte
armée.
Cette approche jusqu’au-boutiste est officialisée le 4 juillet 2017
(jour anniversaire de la « libération » du Rwanda par le FPR), lorsque
le parti qu’il a fondé, le Parti pour la démocratie au Rwanda
(PDR-Ihumure) fusionne avec le Conseil national pour le renouveau et la
démocratie (CNRD-Ubwiyunge) de Wilson Irategeka, une organisation armée.
Les deux mouvements forment ensemble le Mouvement rwandais pour le
changement démocratique (MRCD), lequel s’étoffera en mars 2018 d’une
branche militaire, en absorbant le Rwandese Revolutionary Movement de Callixte Nsabimana, alias Sankara.
Ce dernier devient le 2e vice-président du MRCD et le porte-parole des
Forces de libération nationales (FNL), le bras armé du parti de Paul
Rusesabagina.
Dans son mandat d’arrêt, l’ancien procureur général du Rwanda
détaille longuement les exactions et attentats imputés à ce mouvement
armé, dont il attribue la responsabilité à Paul Rusesabagina et ses
acolytes. Il s’appuie notamment sur des interventions publiques de
« Sankara » dans divers médias, dans lesquelles il revendique des actes
répréhensibles contre le Rwanda de Paul Kagame. Entre-temps, le
guerillero a été arrêté aux Comores avant d’être livré à Kigali. Il a
par la suite plaidé coupable et livré aux enquêteurs des confidences
susceptibles d’incriminer Paul Rusesabagina.
Mystères
Depuis son arrestation, l’entourage personnel de ce dernier, tout
comme les principaux mouvements de l’opposition rwandaise en exil,
dénoncent à l’unisson un « kidnapping ». « Quand Calixte Sankara a été
arrêté aux Comores, les services rwandais sont venu le chercher dans un
avion privé et ils sont repartis avec lui dans le même avion », assure
un sympathisant de Rusesabagina, selon qui « cette extradition déguisée
s’est faite en dehors des lois internationales ».
Dans le cas du « héros » d’Hôtel Rwanda, un voile de mystère entoure
les circonstances exactes de son arrivée à Kigali, où le RIB a annoncé
son arrestation sur Twitter. Certes, cet organisme a précisé dans son
premier message que cette interpellation a été permise par la «
coopération internationale ». Mais à Kigali, depuis plusieurs jours,
aucun détail n’a été fourni permettant de savoir quels États ont pu
jouer un rôle dans l’opération.
Des bribes d’informations livrées par la famille et par un officiel anonyme cité par la chaîne CNN
permettent toute fois de penser que les Émirats arabes unis auraient
été la dernière étape de Paul Rusesabagina avant de se retrouver, à son
corps défendant, sur le tarmac de l’aéroport de Kigali. L’homme aurait
en effet atterri à Dubaï jeudi 27 août, ce que semble confirmer sa
famille, qui lui a parlé au téléphone ce jour-là. Dès le lendemain, il
aurait embarqué de son plein gré à bord d’un jet privé, à destination
d’un pays d’Afrique centrale qui n’est pas cité.
Il a embarqué volontairement dans ce jet privé. Et lorsque l’avion a fait escale a Kigali, il a été placé en état d’arrestation. »
Par Jeune Afrique